Sans qu’il sache pourquoi, Christophe (le prénom a été changé) a été circoncis lorsqu’il était encore un nourrisson. Cette opération l’a profondément affecté sur le plan psychologique et sexuel. Après un important effort, il nous livre son témoignage, une démarche qui lui a fait du bien.
Image d’illustration
Témoignage
Je m’appelle Christophe, j’ai 48 ans et j’ai été circoncis à l’âge de 1 an et demi. Pourquoi ? Aucune idée. Pas de religion, issu d’une famille athée, juste une date écrite au crayon à papier sur la dernière page de mon carnet de santé par ma maman, comme s’il fallait le cacher. Le médecin qui a changé le cours de ma vie n’a pas eu le courage de signer son acte, à savoir m’enlever une partie intime de moi-même.
J’ai vécu dans un petit village des Vosges et jusqu’à mes 7 ans j’étais heureux, j’avais des copains, je vivais une vie paisible, normale, jusqu’à ce jour où je suis parti à la piscine avec l’école. Ce jour est resté gravé dans ma mémoire comme le tournant de ma vie. Quand je me suis retrouvé nu dans le vestiaire collectif avec mes camarades de classe, je me suis aperçu que j’étais différent, je n’avais pas le même zizi. Moi, j’avais le gland qui dépassait. Eux aussi l’ont remarqué et c’est là que les moqueries ont commencé. J’ai eu droit à « tête de bite », « bite de champignon », « tête de gland », etc… Le maître d’école s’est rendu compte du souci, mais il n’a rien fait. Quand je suis rentré chez moi, j’ai parlé du problème à mes parents, mon père s’est mis en colère (il considère qu’un homme circoncis n’est plus un homme, mais je n’ai jamais pu en discuter avec lui) et ma mère m’a emmené voir le médecin qui m’a dispensé de sport pour « régler le problème » et que je sois tranquille. Ce médecin était d’ailleurs le responsable de ma circoncision. J’ai donc passé le reste de mon enfance à me cacher des autres, hors de question de faire du foot, du basket ou autres sports collectifs qui me ramèneraient dans les vestiaires.
J’ai découvert vers 14 ans à la bibliothèque (internet n’existait pas) ce qu’était une circoncision. Un choc pour moi d’apprendre qu’une personne avait saisi mon sexe, l’avait décalotté en forçant sûrement un peu puisque le prépuce est plus ou moins collé au gland durant l’enfance, et m’avait amputé, il n’y a pas d’autre mot, d’une partie la plus intime de moi-même. Je l’ai ressenti comme un viol sur ma personne. J’ai questionné ma maman à ce sujet mais elle n’a pas trop su me répondre, comme si elle regrettait, j’ai juste appris que j’avais beaucoup pleuré. Avais-je été anesthésié ? À l’époque, on estimait que le bébé ne garderait pas de souvenir de cette souffrance.
À l’école je ne faisais pas grand chose, ma scolarité a été médiocre. Après le redoublement de ma 5ème qui fut un échec total, il a donc fallu penser à une orientation. Depuis longtemps une seule chose me faisait envie : conduire un camion et parcourir les pays. Mes parents m’avaient trouvé un lycée professionnel qui préparait au CAP de conducteur routier, mais situé à 100 km de la maison, ce qui voulait dire internat. Le jour de la visite du lycée, une seule chose me préoccupait : les douches. Étaient-elles collectives ou séparées ? C’est la première chose que je suis allé vérifier. Si ces fameuses douches avaient été collectives, je ne ferais pas aujourd’hui un métier que j’aime encore.
À l’adolescence, j’ai rencontré quelques filles. Petits bisous, promenade main dans la main, mais dès qu’il fallait aller plus loin je fuyais, ce qui m’a valu une réputation de trouillard et de puceau. À 16 ans, j’ai rencontré le grand amour, je me suis dit « c’est la bonne ». Comme elle avait 2 ans de moins que moi, la question du sexe ne s’est pas posée tout de suite. Mais comme pour toutes les autres au moment venu, je l’ai quittée. Aujourd’hui encore je pense à elle. Je l’ai retrouvée il y a peu de temps sur les réseaux sociaux mais elle ne veut plus me parler : 30 ans après, la blessure n’est visiblement pas refermée pour les deux. Sa sœur m’a dit qu’elle était mariée avec une personne d’origine sénégalaise donc sûrement circoncise, ce qui me fait encore plus mal car elle m’aurait sûrement accepté tel que je suis.
À l’âge de 24 ans, j’ai rencontré par hasard une fille très timide issue d’une famille italienne très pieuse et pour elle pas question de relation sexuelle avant le mariage. C’était la fille idéale : ne connaissant pas le sexe masculin elle ne pourrait pas comparer, et j’ai fait en 1998 à 26 ans un mariage sans amour et en même temps ma première fois. Au début c’était fantastique, le sexe et ses secrets à explorer, sauf que vite déçu car pas beaucoup de ressenti. Je ne me suis jamais masturbé puisque la seule vue de ce sexe me ramène à de mauvais souvenirs. Nous avons quand même eu 2 fils en 2001 et 2004 qui n’ont pas été circoncis, la question ne s’est même jamais posée. À la naissance de l’ainé, en voyant son sexe, ma femme a cru qu’il avait une malformation. À son interrogation, la sage-femme comprend que je suis circoncis et c’est à ce moment que ma femme l’apprend.
Après la naissance de mon deuxième fils, la sexualité avec ma femme s’est dégradée : rapport une fois par mois maximum et j’avais du mal à atteindre l’orgasme. Pour essayer de « réveiller » notre couple, nous avons acheté ensemble un gadget vibrant qui a eu l’effet inverse, puisque ma femme prenait plus de plaisir avec lui qu’avec moi, au point que depuis 5 ans maintenant nous faisons chambre à part et que le désert sexuel s’est installé. Comment faire l’amour quand on ne ressent presque rien ? Les préliminaires pour moi ne servent à rien. La fellation est inutile car elle procure très peu de ressenti. S’agissant de la masturbation, sans prépuce il faut espérer que madame ait bien enlevé ses bagues pour ne pas risquer de blesser le gland, prévoir le lubrifiant, la serviette pour s’essuyer les mains, faire attention à ne pas tacher… bref, plus de galère que de plaisir. Puis vient le moment tant attendu de la pénétration et là encore il faut rester concentré et s’échiner comme un bourrin, finir en sueur le cœur au bord de l’explosion pour 10 secondes de bonheur que tu n’es même pas sûr d’atteindre. Même ma femme n’a pas pris de plaisir tellement elle à été secouée et donc elle devient moins demandeuse. Au bout d’un moment, je prenais presque plus de plaisir avec une tablette de chocolat devant la télé. Mes fils sont grands maintenant, le premier a quitté il y a peu la maison et son frère va suivre d’ici 1 an ou 2, ce qui nous a amené à envisager un divorce.
La circoncision a conditionné ma vie. Tous les ans à la même date, le 18 octobre, anniversaire de ma circoncision, ressurgissent de mauvais démons. Je sais que ce sera la date de mon dernier jour car j’ai décidé de quitter ce monde à cette date fatidique comme un bras d’honneur à tous ces mauvais souvenirs. Je partirai mais pas n’importe comment, en apothéose pour moi, et j’ai déjà imaginé ma fin. Plusieurs scénarios se sont bousculés dans ma tête au fil des ans, mais le plus probable est celui-ci : d’abord s’inscrire sur le fichier pour faire don de mon corps à la science afin qu’ils puissent continuer à me charcuter à leurs guise, mais avant je vais leur faire un dernier cadeau : amputer ce pénis qui n’a jamais vraiment fait partie de moi et écrire un mot à tous ces pontes médecins, chirurgiens et autres urologues, leur laissant ce témoignage avec en-dessous en guise de signature : « maintenant contemplez votre œuvre ».
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Depuis quelques années, mes enfants ont grandi et sont devenus plus indépendants, j’ai pris un peu de recul et fait le bilan de ma vie. C’est à ce moment que je me suis rendu compte de l’emprise de la circoncision sur moi. J’ai cherché sur plusieurs sites internet des cas similaires au mien, mais à chaque fois je tombais sur des forums où pro et anti se battaient à coup d’arguments plus ou moins fantaisistes, jusqu’à ce que je trouve Droit au Corps. Pendant presque 1 an, j’ai lu et relu les articles et les témoignages avant d’oser me lancer à mon tour et j’ai découvert à ce moment-là des gens qui comprenaient mon mal-être, notamment mon accompagnatrice qui m’a aidé à chasser mes idées noires et repartir du bon pied avec ma femme. Grâce à eux je sais que je ne suis pas tout seul dans ce cas et j’espère que mon témoignage aidera d’autres personnes.
L’écriture de ce témoignage m’a permis de prendre du recul. J’ai osé aborder le sujet avec ma femme, à mieux appréhender mon corps et ainsi prendre un nouveau départ. Le divorce n’est plus d’actualité et l’envie de suicide encore moins.
Sur cette question du suicide et la façon dont je l’aborde plus haut, je pense que c’est plus de la colère refoulée du fait de ne pas avoir d’explications, de ne pas savoir pourquoi. D’où une envie de vengeance impossible à assouvir. Se battre contre des fantômes, ne pouvoir rien faire me mettait dans une colère que je ne supportais plus. Il fallait que je fasse quelque chose et ce témoignage servira certainement plus qu’un suicide.
Le conseil que je pourrais donner à une personne qui souffre de sa circoncision, c’est de ne pas rester seule avec cette souffrance mais d’en parler. Je suis resté trop longtemps dans mon coin, ce n’est pas la solution. D’autres personnes sont dans la même situation : en s’unissant, on peut se soutenir et s’entraider. Les parents ont aussi un rôle à jouer en accompagnant leur enfant, pas seulement juste après l’opération mais plus tard quand il est en âge de comprendre, ils ne doivent pas faire semblant d’oublier.
Voilà. Juste mon simple témoignage sur ma vie pour dire qu’un petit bout de peau retiré peut bouleverser une vie entière et même gâcher celle de son conjoint.
Christophe
Note de Droit au Corps : liens insérés dans le texte par nous.