Le 15 novembre 2024, le magazine Causeur a publié un article intitulé « Et revoilà le débat sur la circoncision », en réaction à une chronique publiée cet été par L’Express. L’article de Causeur défend la circoncision rituelle des enfants, mais souffre d’importantes omissions, erreurs et incohérences. Droit au Corps y répond.
Si notre association s’est employée à répondre de manière détaillée à Causeur, c’est parce que leur article concentre l’essentiel des arguments utilisés par les défenseurs de la circoncision infantile. Il s’agit donc d’une bonne occasion de présenter les arguments de ceux qui œuvrent pour l’abandon de cette pratique, afin de faire progresser le débat.
Sommaire :
A. Des souffrances bien réelles
B. « La plupart ne se plaignent pas »
C. Lien entre fausses croyances et satisfaction d’être circoncis
III. Une liste bénéfices-risques incomplète et trompeuse
A. Risques associés à la circoncision
B. Bénéfices associés à la circoncision
C. Quand est-il médicalement éthique de circoncire ?
A. Points communs entre circoncision et excision
B. Arguments utilisés pour défendre la circoncision tout en condamnant l’excision
C. Pourquoi accepter la circoncision des garçons met-il les filles en danger ?
D. Une éthique cohérente dans l’intérêt de tous les enfants
V. « Liberté de religion » ou « liberté de contraindre » ?
VI. Est-il discriminatoire de vouloir protéger tous les enfants ?
VII. Perspectives : un consensus mondial autour de l’âge du consentement à la circoncision
I. Omission du prépuce
L’article de Causeur ne dit rien de l’anatomie et des fonctions de la partie du pénis retirée lors de la circoncision, à savoir le prépuce. La seule fois où le prépuce est évoqué, c’est pour discuter des pathologies qui peuvent le concerner (« difficultés liées au prépuce »).
Puisque le prépuce n’est pas pris en compte, cela peut laisser penser qu’il n’a pas de valeur intrinsèque.
Il convient donc de rappeler que le prépuce :
1 : est une structure anatomique complexe :
- construit d’une double couche, comme les paupières : peau à l’extérieur, muqueuse à l’intérieur ;
- composé de récepteurs sensoriels spécialisés, de fibres musculaires et élastiques, de vaisseaux sanguins ;
- contient une structure unique et richement innervée : la bande striée ;
- représente entre un tiers et la moitié de la peau du pénis, plusieurs dizaines de centimètres carrés chez l’adulte.
2 : possède plusieurs fonctions majeures :
- protectrice : de sa propre couche interne de muqueuse, de la muqueuse du gland, du méat urinaire ;
- sensorielle : c’est la partie du pénis la plus sensible au toucher ;
- mécanique : sa mobilité permet une stimulation du pénis et favorise le confort des deux partenaires durant l’activité sexuelle.
Lorsqu’un individu est circoncis, il est privé du prépuce et des fonctions qui y sont liées : il s’agit d’une perte en soi. Ne pas prendre en compte le prépuce dans un débat sur la circoncision est donc une omission majeure qui biaise toute analyse bénéfices-risques.
Les récepteurs sensoriels du prépuce sont concentrés dans la bande striée et le frein. Durant l’activité sexuelle, le mouvement du prépuce procure des sensations de plaisir et favorise le confort des deux partenaires.
Schéma : Wikimedia Commons / DocBrinkmann
Vidéos pour comprendre le rôle du prépuce en moins de deux minutes :
- Le prépuce : qu’est-ce que c’est ? (1/2) – YouTube
- Le prépuce : qu’est-ce que c’est ? (2/2) – YouTube
Pour aller plus loin, voir cet entretien avec le Pr Kenneth McGrath, anatomiste :
(en anglais – sous-titres français disponibles dans les paramètres)
Transcription et illustrations
Note : la vulve possède aussi un prépuce, appelé « prépuce clitoridien » ou « capuchon du clitoris », qui partage des similitudes anatomiques et physiologiques avec le prépuce du pénis.
II. Négation des souffrances
L’article de Causeur affirme que « [a]ucune étude n’a révélé un mal-être quelconque de ces hommes [circoncis] » et que les « difficultés liées au prépuce […] sont, elles, de véritables souffrances ». Cela sous-entend que les souffrances dues à la circoncision n’existent pas ou ne sont pas authentiques.
A. Des souffrances bien réelles
L’auteur de l’article commet une erreur factuelle : des études scientifiques et des témoignages montrent indiscutablement que la circoncision peut entraîner des souffrances, aussi bien sur le plan physique, psychologique que sexuel, à court et à long terme. Sans oublier les souffrances qui peuvent affecter les parents, les partenaires sexuels, ou encore les médecins qui pratiquent la circoncision.
Des enquêtes menées aux États-Unis et en Suisse indiquent que 10 à 16 % des adultes qui ont subi une circoncision non consentie dans leur enfance souhaiteraient ne pas avoir été circoncis (Sears 2012, Moore 2015, Earp, Sardi, and Jellison 2018, Serody 2021).
Des milliers d’individus à travers le monde sont insatisfaits d’être circoncis au point de se lancer dans un long et laborieux processus de restauration du prépuce. Une enquête publiée en 2023 révèle leur mal-être. Point notable : 25 % des personnes interrogées ont pris conscience des dommages causés par leur circoncision avant l’âge de 12 ans, et 6,5 % avant l’âge de 7 ans.
B. « La plupart ne se plaignent pas »
À ce stade, l’argument parfois utilisé par les défenseurs de la circoncision est que « la plupart des hommes circoncis ne se plaignent pas ». Cela sous-entend que puisque seule une minorité se plaint, alors la pratique est acceptable.
Cet argument est une erreur logique (non sequitur) : ça n’est pas parce qu’une majorité d’individus se satisfait d’une pratique que celle-ci est éthiquement acceptable.
Par exemple, différentes études montrent que dans de nombreuses sociétés où l’excision rituelle des filles est la norme (même dans des formes très sévères), de nombreuses femmes interrogées, et dans certains cas la majorité d’entre elles, se déclarent satisfaites de leur état. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit éthiquement acceptable de retirer une partie saine du sexe de filles qui ne sont pas aptes à consentir.
Références et explications supplémentaires : voir le titre “MOST DON’T COMPLAIN” de cette étude.
C. Lien entre fausses croyances et satisfaction d’être circoncis
Les résultats d’une étude publiée en 2018 « soutiennent provisoirement l’hypothèse selon laquelle l’absence de préjudice signalée par de nombreux hommes circoncis, tout comme l’absence de préjudice signalée par leurs homologues féminines dans les sociétés qui pratiquent l’excision, peut être liée à l’existence de croyances inexactes concernant les organes génitaux non modifiés et les conséquences de la modification des organes génitaux pendant l’enfance. »
Par exemple, un homme circoncis qui pense que le prépuce est un « petit bout de peau inutile » sera plus enclin à être satisfait de sa circoncision. À l’inverse, un homme qui sait que le prépuce joue un rôle positif dans la sexualité sera plus enclin à regretter d’avoir été circoncis.
Cela signifie qu’une personne dont l’anatomie sexuelle a été modifiée durant l’enfance, et qui n’y voyait jusque-là aucun problème, peut changer de perspective à la lumière de nouvelles informations, et considérer cet acte comme un préjudice. Une prise de conscience peut par exemple survenir en lisant un livre sur la sexualité, en voyant un sexe non altéré sur internet, ou lors d’une discussion à l’école.
Explications en vidéo par l’éthicien Brian Earp, co-auteur de l’étude :
17:19 : exemple d’un changement de perspective
23:26 : réponse à l’argument « les hommes ne se plaignent pas » puis « la plupart… »
28:18 : présentation et résultats de l’étude
(en anglais – sous-titres traduits automatiquement en français à activer dans les paramètres)
III. Une liste bénéfices-risques incomplète et trompeuse
L’article de Causeur entend « [r]établir les faits médicaux » en dressant une liste de bénéfices et de risques associés à la circoncision, et conclut que « les arguments médicaux vont dans le sens de la défense de la circoncision. » En réalité, l’auteur de l’article s’arrange avec les données scientifiques pour mieux défendre la circoncision.
A. Risques associés à la circoncision
1/ Une chirurgie parfois effectuée par des non chirurgiens
L’article de Causeur prend pour exemple la circoncision rituelle juive et affirme que celle-ci est « toujours effectuée par des spécialistes qui ont suivi un parcours d’étude strict et exigeant » et qui « sont médecins pour beaucoup d’entre eux. »
L’auteur reconnaît donc implicitement que certains pratiquants de circoncision rituelle ne sont pas médecins. Et parmi ceux qui sont médecins, on peut supposer que certains ne sont pas chirurgiens. Or l’ablation du prépuce est une opération chirurgicale et, à ce titre, elle doit être pratiquée par un chirurgien.
Causeur met donc le doigt sur un scandale sanitaire qui a lieu quotidiennement en France et ailleurs : des individus n’étant pas chirurgiens, voire pas médecins, pratiquent la chirurgie sur des enfants. Il s’agit d’un exercice illégal de la médecine réprimé par les articles L4161-1 à L4161-6 du Code de la santé publique.
Notre association est d’ailleurs partie civile dans une affaire en cours à Bordeaux, où des enfants ont été victimes de graves complications après qu’un médecin, non chirurgien, a pratiqué sur eux une circoncision. « Quand on est ni chirurgien, ni anesthésiste, ni urologue, on ne pratique ni la chirurgie, ni l’anesthésie, ni l’urologie », plaide Me Pierre Landete, l’un des avocats des parties civiles.
2/ Complications
L’article de Causeur dit : « Même dans un environnement médicalisé, le risque zéro n’existe pas et ce sont surtout les conditions de la réalisation qui sont dangereuses. »
L’auteur omet de préciser que même lorsqu’elle est effectuée dans les règles de l’art médical, la circoncision infantile entraîne un risque :
- de complications postopératoires pouvant atteindre jusqu’à 5 % ;
- de complications ultérieures pouvant atteindre jusqu’à 20 % ;
- et même de décès, bien que cela soit extrêmement rare.
Contrairement à ce que l’auteur affirme, c’est à l’évidence l’intervention elle-même qui est dangereuse en premier lieu, c’est-à-dire le fait d’utiliser un objet tranchant pour couper une partie du pénis.
De plus, l’expression « le risque zéro n’existe pas » peut laisser entendre que les plaintes liées à la circoncision ne résultent que d’accidents isolés, d’interventions « ratées ». Or, il convient de rappeler qu’au plan éthico-juridique, même lorsqu’une chirurgie est parfaitement exécutée (sans complication), elle constitue en soi un préjudice si elle est non nécessaire et non consentie. Certains individus circoncis expriment ainsi une insatisfaction du seul fait d’avoir été privés d’une partie de leur pénis.
3/ Douleur
L’article de Causeur omet de dire que la circoncision est une intervention très douloureuse, quel que soit l’âge, qui nécessite une prise en charge appropriée de la douleur.
Aujourd’hui, en France et ailleurs, une partie des circoncisions infantiles est pratiquée avec des moyens anesthésiques largement insuffisants, voire sans anesthésie, ce qui entraîne une douleur opératoire des plus extrêmes, sans parler de la douleur postopératoire.
C’est pourquoi les recommandations de Droit au Corps soulignent : « À titre conservatoire, […] les pouvoirs publics doivent urgemment imposer l’obligation d’une anesthésie efficace pour les nouveau-nés, y compris post-opératoire, et une lourde condamnation en cas de manquement à cette exigence basique. »
4/ Conséquences sexuelles
À l’argument que la circoncision entraîne une perte de sensibilité sexuelle, l’article de Causeur répond : « Que dire de la pertinence de cet argument au sujet d’un nourrisson de huit jours, ou même d’un enfant plus âgé ? »
L’auteur commet une erreur logique (ignoratio elenchi) : ce n’est pas parce que l’enfant n’a pas de vie sexuelle que cette perte devient sans importance. L’argument porte bien évidemment sur la sexualité de l’adulte qu’il deviendra.
L’article de Causeur continue : « Pour les adultes ayant fait l’opération, aucune étude n’a démontré que la sexualité change. »
Au delà des études qui montrent que la circoncision peut entraîner des troubles dans la sexualité, rappelons que l’ablation du prépuce est en soi une perte :
- toute sensation érogène provenant du prépuce est de fait éliminée, de même que toute pratique sexuelle impliquant sa manipulation devient impossible ;
- le gland, initialement un organe interne, est désormais exposé à l’air et aux frottements, ce qui entraîne une désensibilisation susceptible de s’aggraver avec le temps ;
- le mécanisme de roulement-coulissement du prépuce est supprimé : sans mobilité du prépuce sur la verge, la masturbation et la pénétration deviennent plus abrasives, entraînant un risque d’inconfort voire de douleurs, tant pour l’individu circoncis que pour ses partenaires.
Par conséquent, dire que la circoncision ne change pas la sexualité revient à adopter « une conception extrêmement réductrice de ce terme. »
5/ Conséquences psychologiques
L’article de Causeur omet de dire que la circoncision peut entraîner des troubles psychologiques.
Au-delà des études, des milliers de témoignages font état de sentiments négatifs liés à une circoncision subie durant l’enfance : colère, rage, anxiété, déprime, sentiment de perte, d’avoir été trahi, violé, etc.
6/ Insatisfaction de l’apparence du pénis
À l’argument qu’un individu circoncis pourrait trouver son pénis inesthétique, l’article de Causeur répond : « la pertinence de l’argument pour un enfant interroge. »
L’auteur semble écarter la possibilité que les enfants puissent se préoccuper de leur apparence physique, alors que c’est le cas.
Après une circoncision, un anneau de tissu cicatriciel se forme autour de la verge. Il est tout à fait possible qu’un enfant ressente un inconfort esthétique lié à cet aspect. Par exemple, il peut trouver sa cicatrice « bizarre » ou « moche ». Cet inconfort peut aussi survenir plus tard, à l’adolescence.
B. Bénéfices associés à la circoncision
Il convient de rappeler que le débat concerne la circoncision d’enfants en bonne santé, réalisée sans nécessité médicale. Les bénéfices associés à la circoncision sont prophylactiques : il s’agit de réduire le risque ou prévenir de possibles maladies futures.
1/ Réduction du risque d’infections sexuellement transmissibles (IST)
L’article de Causeur parle de « protection contre les infections sexuellement transmissibles », ce qui est faux : l’ablation du prépuce réduit le risque de transmission de certaines IST, mais ne protège pas.
Prenons l’exemple du VIH : la réduction du risque de 60 %, souvent mise en avant dans les bénéfices de la circoncision, n’est valable qu’à court terme (dans les 18 à 24 mois suivant l’opération et uniquement pour une transmission d’une femme infectée à un homme non infecté), et non à long terme en raison de l’exposition répétée au virus.
L’explication est simple :
- en retirant le prépuce, on retire des cellules cibles pour le virus, donc on évite certaines transmissions en cas d’exposition ;
- mais il reste des cellules cibles sur le gland et l’urètre, vers lesquelles le virus trouvera une porte d’entrée tôt ou tard.
La preuve formelle de l’absence de protection provient des études démographiques, qui ne montrent aucune différence de prévalence du VIH en population générale entre circoncis et non circoncis. Autrement dit, il y a autant d’infectés chez les circoncis que chez les non circoncis lorsque les hommes ont été exposés durablement au risque de contracter le virus.
Le taux d’IST est même parfois plus élevé chez les circoncis. Cela pourrait s’expliquer par une moindre utilisation du préservatif, en raison de la fausse croyance d’être protégé ou d’une recherche accrue de sensations (la sensibilité du pénis étant diminuée en l’absence de prépuce).
Que l’on soit circoncis ou non, il est indispensable d’utiliser un préservatif lors de rapports à risque, non seulement pour se protéger, mais aussi pour protéger son ou sa partenaire.
Enfin, même si la circoncision était efficace contre les IST, les enfants ne seraient pas concernés puisqu’ils ne sont pas sexuellement actifs. La décision d’une éventuelle circoncision pourrait donc être reportée jusqu’à ce que l’individu soit en âge de consentir.
2/ Réduction du risque de cancer du pénis
L’article de Causeur dit ensuite : « La circoncision peut également réduire le risque de cancer du pénis. Un homme circoncis au début de sa vie a un risque réduit de 50 à 90% par rapport à un homme non circoncis. »
Ce que l’auteur omet de préciser, c’est que le cancer du pénis touche environ 1 homme sur 100 000 et qu’il faudrait jusqu’à 322 000 circoncisions pour prévenir un seul cas de cancer du pénis, cela au prix d’un nombre de complications bien plus élevé, dont des décès.
De plus, les enfants n’étant pas concernés par le cancer du pénis, la décision d’une éventuelle circoncision peut être reportée à l’âge adulte.
3/ Réduction du risque d’infections urinaires (IU)
L’article de Causeur continue : « Des études ont montré que la circoncision peut réduire le risque d’infections urinaires. En synthèse, les infections urinaires sont environ 10 fois plus fréquentes chez les nourrissons non circoncis que circoncis. »
Ce que l’auteur omet de préciser, c’est que les IU touchent environ 1 % des garçons et qu’il faudrait au mieux entre 111 et 195 circoncisions pour prévenir un seul cas d’IU, cela au prix d’un nombre de complications plus élevé. Sachant qu’une étude Cochrane plus récente n’a pas trouvé de preuves fiables que la circoncision réduirait le taux d’IU.
Quoi qu’il en soit, si un garçon contracte une infection urinaire, celle-ci se traite facilement avec des antibiotiques, comme pour les filles. Il n’est donc pas justifié de circoncire des enfants pour réduire le risque d’IU.
À noter qu’en ce qui concerne la circoncision rituelle, des études menées en Israël ont montré que le risque d’infections urinaires augmente après la circoncision.
4/ Prévention des pathologies du prépuce
L’article de Causeur ajoute : « Enfin, un homme circoncis ne vit pas toutes les difficultés liées au prépuce, comme le phimosis (prépuce trop serré) ou la balanite (inflammation du gland) ».
En reformulant, l’argument est celui-ci : « En retirant le prépuce, on évite les pathologies liées au prépuce. »
Certes, sauf que la même logique peut s’appliquer à toutes les parties du corps :
- retirer les dents permet d’éviter les caries ;
- retirer la langue permet d’éviter les aphtes linguaux ;
- retirer les seins permet d’éviter le cancer du sein ;
- et ainsi de suite.
Pourtant, personne ne préconise de retirer ces parties du corps d’enfants sains au motif qu’elles pourraient un jour présenter une pathologie : ce serait médicalement aberrant. Pourquoi en serait-il différent pour le prépuce ?
À noter qu’une pathologie du prépuce, si elle survient, peut se traiter sans perte de tissu. Selon l’éthique médicale, l’ablation du prépuce doit être considérée en dernier recours dans la gamme de traitements, tout comme le serait l’arrachage d’une dent en cas de carie.
Enfin, il convient de signaler que bien des garçons orientés pour une circoncision sont en réalité sains, que bien des troubles de la santé du pénis ont pour origine la mauvaise pratique du décalottage forcé, et que la confusion autour du mot « phimosis » sert bien souvent d’alibi à la circoncision.
C. Quand est-il médicalement éthique de circoncire ?
En 2013, un groupe de médecins européens et canadien rappelle :
« Les critères les plus importants pour la justification des procédures médicales sont la nécessité, le rapport coût-efficacité, la subsidiarité, la proportionnalité et le consentement. Pour les procédures médicales préventives, cela signifie que la procédure doit effectivement conduire à la prévention d’un problème médical grave, qu’il n’existe pas de moyen moins intrusif d’atteindre le même objectif et que les risques de la procédure sont proportionnels au bénéfice escompté. En outre, lorsqu’elle est pratiquée pendant l’enfance, il doit être clairement démontré qu’il est essentiel d’effectuer la procédure avant l’âge auquel l’individu peut prendre une décision sur la procédure pour lui-même. […]
La circoncision ne répond pas aux critères communément acceptés pour la justification des procédures médicales préventives chez les enfants. La question médicale essentielle ne devrait pas être de savoir si la circoncision peut prévenir une maladie, mais comment la maladie peut être prévenue au mieux. »
Ces principes s’appliquent pour toute partie du corps. Par exemple, il n’est pas médicalement justifié de retirer les bourgeons mammaires d’un enfant au motif que cela pourrait éviter un cancer du sein à l’âge adulte. À l’inverse, un adulte peut consentir à une mastectomie pour prévenir le risque de cancer.
Puisque la circoncision infantile ne répond pas aux critères de la médecine préventive, aucune société savante ne la recommande. En revanche, plusieurs se prononcent contre.
Le Dr Guest explique que la circoncision, lorsqu’elle est pratiquée sans nécessité médicale et sans consentement, viole des principes fondamentaux de l’éthique médicale tels que le primum non nocere, l’autonomie et la proportionnalité (à partir de 1:10:30).
(en anglais – sous-titres non disponibles)
IV. Condamner toute atteinte à la vulve, mais défendre une atteinte au pénis : une incohérence éthique dangereuse
L’article de Causeur prend position contre toute forme d’excision,* mais défend l’ablation du prépuce du pénis. Pour justifier sa position, l’auteur s’efforce de démontrer que les pratiques ne sont pas comparables. Il convient d’expliquer pourquoi cette position est à la fois incohérente sur le plan éthique et dangereuse pour les filles.
* en se référant à la définition de l’OMS pour « mutilations sexuelles féminines »
A. Points communs entre circoncision et excision
Circoncision et excision impliquent toutes deux :
- une modification d’un organe sexuel ;
- qui prend souvent la forme d’une ablation, irréversible, de tissu sensoriel ;
- sans consentement libre et éclairé ;
- sans nécessité médicale ;
- sur un enfant généralement prépubère ;
- sur décision de parents généralement eux-mêmes concernés par la pratique ;
- avec douleur pendant la procédure et/ou après, en fonction de l’anesthésie s’il y en a ;
- risque de complications physiques à court et à long terme, même quand la procédure est effectuée dans les règles de l’art médical ;
- possibles conséquences psychologiques à court et à long terme ;
- possibles conséquences sexuelles à court et à long terme (en plus de la perte intrinsèque de sensation due à l’ablation de tissu).
Partant de ce constat, la question est la suivante : pourquoi seules les modifications de la vulve seraient éthiquement inacceptables ?
Classement phénotypique des organes génitaux selon l’échelle Quigley, utilisée ici à titre pédagogique.
1-2 (masculins) : modification* largement tolérée** (type ablation du prépuce)
3-4 (intersexes) modification* largement tolérée** (différents types)
5-6/7 (féminins) : modification* largement condamnée** (quel que soit le type)
* non consentie et non nécessaire médicalement
** par les pouvoirs publics et les autorités sanitaires à travers le monde
Schéma : Wikimedia Commons / Jonathan.Marcus
B. Arguments utilisés pour défendre la circoncision tout en condamnant l’excision
Les personnes qui défendent la circoncision tout en condamnant l’excision avancent généralement trois arguments pour justifier leur position :
- « la circoncision est moins grave que l’excision »
- « la circoncision a des bénéfices pour la santé, pas l’excision »
- « la circoncision est pratiquée pour des motifs religieux, pas l’excision »
Nous invitons le lecteur à faire une pause et à se demander : dans quel cas et pour quelle raison une modification de l’anatomie sexuelle est-elle condamnable ? Par exemple, dans quelle situation une chirurgie esthétique des lèvres vaginales est-elle acceptable ou non ?
Est-ce vraiment en fonction du degré de gravité que l’excision pose problème ? Il s’avère que certaines formes d’excision sont d’une gravité tout à fait comparable avec l’ablation du prépuce du pénis (par exemple : ablation du prépuce clitoridien), voire inférieure (par exemple : piqûre sur le prépuce clitoridien, sans perte de tissu). Ces formes d’excision sont-elles acceptables ?
Est-ce vraiment la présence ou l’absence de bénéfices pour la santé qui motive la lutte contre l’excision ? Il est théoriquement possible que l’ablation d’une partie de la vulve réduise le risque de cancer ou de certaines infections, ce que des études pourraient montrer un jour (et ce que des médecins avancent déjà, par exemple en Égypte). Certaines formes d’excision deviendraient-elles alors acceptables ?
Est-ce vraiment la présence ou l’absence de motifs religieux qui oriente la lutte contre l’excision ? Il se trouve que des communautés la pratiquent pour un motif religieux. L’excision est-elle acceptable dans ce cas ? Et pas pour les personnes qui le font par tradition familiale ?
Tous ces arguments relèvent du leurre, car ils sont moralement hors de propos. Pour les acteurs de lutte contre l’excision, il est évident que toute modification de la vulve d’enfant est inacceptable, indépendamment du degré de gravité, de la présence de bénéfices préventifs, et du motif pour lequel elle est effectuée.
Dès lors, il apparaît que c’est parce qu’elle est imposée à l’individu que cette pratique pose problème. Une modification de l’anatomie sexuelle n’est pas une mauvaise chose en soi, si la personne concernée le veut (par exemple : piercing, chirurgie esthétique). La notion de consentement est donc le facteur déterminant à prendre en compte, et cela s’applique à tous les individus, quelles que soient leurs caractéristiques sexuelles.
Dans le cas d’un enfant en bonne santé qui ne peut pas consentir, il est alors éthiquement incohérent de condamner toute modification de la vulve, mais de défendre l’ablation du prépuce du pénis, quelle qu’en soit la raison.
Mutilation ou pas mutilation ? Notons que l’auteur de l’article de Causeur se contredit lorsqu’il affirme que l’excision est « une véritable mutilation […] dans n’importe laquelle de ses formes », tandis que la circoncision serait « non mutilante ». Selon la définition de l’OMS, utilisée par l’auteur lui-même, les mutilations sexuelles féminines incluent non seulement l’ablation de tissus, mais aussi des interventions moins invasives, comme piquer, percer ou inciser les organes génitaux. Si ces pratiques sont qualifiées de mutilations, alors l’ablation du prépuce, indiscutablement plus invasive, doit également être considérée comme une mutilation. Inversement, si l’auteur insiste pour dire que la circoncision n’est pas une mutilation, il contredit alors la définition de l’OMS, en admettant implicitement que certaines pratiques listées (comme inciser ou piquer) ne sont pas des mutilations. Enfin, sa conclusion, selon laquelle « L’excision appliquée aux hommes reviendrait purement et simplement à une amputation du pénis sans anesthésie. La circoncision ne peut donc pas être une mutilation », repose sur deux erreurs logiques : d’une part, une fausse équivalence (entre excision et amputation du pénis), et d’autre part, un faux dilemme (opposant l’amputation totale du pénis à l’ablation du prépuce). En simplifiant ainsi une question complexe, l’auteur élude le débat sur le caractère mutilant de la circoncision. Pour aller plus loin, nous invitons à visionner cette présentation de l’éthicien Brian Earp qui montre que la position de l’OMS sur les mutilations sexuelles est « scientifiquement défaillante » et « éthiquement incohérente », raison pour laquelle lui et d’autres chercheurs proposent des solutions. |
C. Pourquoi accepter la circoncision des garçons met-il les filles en danger ?
Parce que dès le moment où l’on donne des raisons pour justifier la circoncision, on ouvre la possibilité que ces mêmes raisons soient invoquées pour justifier l’excision.
L’éthicienne Dena Davis signalait déjà en 2001 :
« les lois […] criminalisant les modifications génitales sur les mineures [filles] sont si larges qu’elles couvrent même des procédures nettement moins invasives que la circoncision masculine des nouveau-nés. […] une attitude de laisser-faire total envers une pratique, combinée à une criminalisation totale de l’autre, [soulève] des questions préoccupantes quant au respect de l’exigence constitutionnelle de protection égale. En effet, ces lois semblent protéger les petites filles contre les interventions chirurgicales motivées par des raisons religieuses et culturelles, mais pas les petits garçons. »
Par exemple, si l’on compare :
- un couple musulman qui souhaite faire modifier les organes génitaux de sa fille parce qu’il estime qu’il s’agit d’une obligation religieuse, et qui est prêt à accepter une intervention peu invasive,
- avec un couple juif qui souhaite faire modifier les organes génitaux de son fils parce qu’il estime qu’il s’agit d’une obligation religieuse,
- il est difficile de justifier pourquoi le souhait du premier couple est illégal et celui du second ne l’est pas. Si l’on imagine que l’expérience de la jeune fille musulmane consistera en une petite incision avec un contrôle adéquat de la douleur dans un contexte hospitalier, alors que l’expérience du garçon juif consistera en une opération plus invasive effectuée par un non médecin, sans contrôle adéquat de la douleur, la justification devient encore plus difficile. (cas adapté de Davis)
En 2012, en Allemagne, l’Association professionnelle des pédiatres alerte sur le fait que légaliser la circoncision masculine « ouvre de façon non intentionnelle la voie à des demandes de légalisation de la circoncision pour les fillettes. »
Concernant l’argument selon lequel « l’excision n’a pas de bénéfices pour la santé », l’éthicien Brian Earp met en garde :
« … l’accent asymétrique mis par l’OMS sur les bénéfices pour la santé pourrait se retourner contre elle. Plus précisément, elle pourrait permettre aux partisans de l’excision de défendre la procédure en s’inspirant du modèle masculin. […]
Il est actuellement illégal dans les pays occidentaux de mener une étude scientifique correctement contrôlée pour déterminer si une forme ‘légère’ et stérilisée d’excision pratiquée dans la petite enfance confère un certain degré de protection contre les maladies.
Mais si les militants contre l’excision et des organisations comme l’OMS continuent de jouer la carte de ‘l’absence de bénéfices pour la santé’ afin d’éviter les comparaisons avec la circoncision masculine, il ne faudra pas longtemps avant que les partisans de [l’excision] ne commencent à mener les recherches nécessaires dans d’autres pays.
L’histoire de la circoncision masculine montre comment cela pourrait se produire. » (deuxième url par nous)
Ces craintes ne sont pas hypothétiques. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, des membres de certaines communautés pratiquent des formes d’excision similaires à la circoncision, de manière médicalisée, au nom de leurs croyances religieuses, en invoquant des bénéfices pour la santé.
En 2017, l’anthropologue Fuambai Ahmadu, fondatrice de l’organisation All Women are Free to Choose, qui milite en faveur de la circoncision féminine, est interviewée sur la chaîne télévisée américaine Fox News. S’ensuit un échange stupéfiant. Le présentateur Tucker Carlson, ouvertement opposé à l’excision, débute bien le débat en axant sur la question du consentement puis sur la souffrance de femmes concernées, mais il se retrouve en difficulté quand Ahmadu lui explique que la forme de circoncision féminine dont il est question dans l’affaire évoquée est moins invasive que la circoncision masculine, largement pratiquée aux États-Unis. Probablement biaisé par sa culture, Carlson abandonne alors l’argument du consentement et se met à justifier la circoncision masculine en évoquant les « bénéfices pour la santé » – un argument problématique, comme nous l’avons vu (se mettrait-il soudainement à défendre l’excision si des bénéfices similaires venaient à être prouvés ?). Déstabilisé par la mise en lumière de son double standard, Carlson met rapidement fin à l’entretien.
Parallèlement à cette poussée inquiétante, il semble que des défenseurs de la circoncision essaient de légitimer certaines formes d’excision afin d’établir une protection indirecte en faveur de la circoncision. Par exemple, en 2016, des chercheurs américains publient un article dans lequel ils soutiennent que puisque la circoncision est tolérée, alors certaines formes d’excision devraient l’être aussi.
Explications et exemples supplémentaires dans cette présentation de l’éthicien Brian Earp :
2:22 : grandes lignes
16:33 : cas d’une médecin ayant pratiqué une forme d’excision moins invasive que la circoncision (États-Unis, 2017)
20:53 : un avocat conseille aux accusés d’adopter une variante du rituel de circoncision juif (piqûre qui entraîne une goutte de sang sur le prépuce clitoridien)
22:52 : des chercheurs américains publient un article dans lequel ils soutiennent que puisque la circoncision est tolérée, alors certaines formes d’excision devraient l’être aussi (2016)
24:55 : l’interdiction fédérale des mutilations génitales féminines est jugée inconstitutionnelle (2018) [rétablie et élargie en 2021]
(en anglais – sous-titres traduits automatiquement en français à activer dans les paramètres)
Mutilation sexuelle : exemple flagrant de double standard en France Cas de discrimination criante, la « loi asile et immigration » de 2018 restreint la protection des garçons aux seuls cas des mutilations sexuelles « de nature à altérer leur fonction reproductrice ». Si cette loi avait respecté l’égalité avec les femmes, la France compterait nombre de réfugiés de l’intérieur qui souffrent aujourd’hui d’un déni de justice. |
D. Une éthique cohérente dans l’intérêt de tous les enfants
Pour protéger les enfants efficacement et dans la durée, il est indispensable d’adopter une éthique cohérente en appelant à l’abandon de toutes les modifications sexuelles non consenties et non nécessaires médicalement, pas seulement celles qui concernent les filles. D’autant plus que partout où l’excision est pratiquée, la circoncision l’est aussi. La communauté mondiale ne se doit-elle pas de protéger tous les enfants de manière égale, sans discrimination ?
L’étude publiée en 2024 par The Brussels Collaboration on Bodily Integrity conclut :
« Dans une perspective de cohérence médico-éthique, exclure sélectivement certains enfants du respect égal de leur intégrité corporelle ainsi que de leur autonomie génitale et sexuelle future, risque de saper la force de ces concepts lorsqu’ils s’appliquent à d’autres cas […]. Le droit de chaque personne de décider elle-même si elle souhaite accepter les risques, les coûts et les compromis associés à une coupure ou une chirurgie génitale médicalement non nécessaire — et, le cas échéant, dans quel but — est menacé par le déni de ce droit à quiconque. […] nous appelons [les hôpitaux] à s’engager publiquement à cesser de pratiquer — ou de permettre — toute coupure ou chirurgie génitale non nécessaire médicalement et non consentie sur les enfants sous leur responsabilité, quelles que soient les caractéristiques sexuelles de l’enfant. »
L’association Droit au Corps, bien qu’elle soit spécialisée sur la circoncision, appelle ainsi à « promouvoir l’abandon de toute forme de mutilation sexuelle », qu’elle définit comme « toute modification d’organe sexuel pratiquée sur un individu sans son consentement libre et éclairé, et sans nécessité médicale. »
De même, des associations spécialisées sur l’excision, comme Terre des Femmes, appellent à la protection de tous les enfants et marchent main dans la main avec des associations qui oeuvrent pour la protection des garçons et des enfants intersexes.
Pour conclure cette partie, citons Soraya Miré, célèbre militante pour l’abandon de l’excision, dont le témoignage est évocateur :
« Ce qui m’a vraiment choquée en arrivant en Amérique, c’est la réaction des gens lorsqu’ils apprenaient ce qui se passe en Somalie, au Soudan, en Éthiopie, […] à propos des mutilations génitales féminines. Les gens étaient horrifiés, choqués, en colère : ce n’était même pas une question de point de vue féministe, mais plutôt une question de droits de l’enfant, de respect de son humanité et de son intégrité. Mais derrière des portes closes, ils mutilaient leurs propres jeunes garçons, leurs fils — et c’est un rituel quotidien ici, sauf que les gens ne le perçoivent pas comme un rituel. Pour moi, c’est pourtant un rituel, car c’est exactement la même chose : une mutilation reste une mutilation. Je trouve cela profondément injuste quand on parle des droits des enfants : c’est une question de droits humains, et je pense que nous devons tous protéger l’intégrité corporelle des jeunes enfants. Ce qui m’a stupéfaite, c’est quand on m’a montré une vidéo : un jeune garçon qui venait juste de naître subissant une opération exactement comme ils nous attachaient, comme une chèvre sur une table, vous savez. Ce bébé venait à peine de naître, et son cri était exactement le même que celui que j’avais entendu quand cette jeune fille avait été amenée devant moi. J’ai ressenti la douleur qu’il éprouvait, parce que je l’avais vécue. J’étais exactement comme lui, et je me suis vue en lui. » (en gras par nous)
V. « Liberté de religion » ou « liberté de contraindre » ?
L’article de Causeur mentionne les droits de l’enfant à ne pas « subir d’intervention physique non nécessaire qui pourrait affecter [son] corps et [son] développement », puis y oppose les droits de l’homme qui « garantissent la liberté de religion et de croyance ».
Sauf que dans le cas de cette atteinte au sexe des enfants qu’est la circoncision, la « liberté de religion » revendiquée est d’évidence une « liberté de contraindre » les plus vulnérables. Une contradiction manifeste.
L’article de Causeur soutient ensuite qu’il est dans l’intérêt supérieur de l’enfant, issu d’une communauté où la circoncision est la norme, d’être circoncis, pour assurer « la construction de son identité », et précise : « libre ensuite à l’enfant de se séparer de son groupe d’appartenance à l’âge adulte. » Il ajoute : « L’argument consistant alors à dire que c’est une fois majeur que l’enfant décide de procéder à sa propre circoncision médicale est un argument de mauvaise foi, car très peu d’hommes en auront le courage. Ce qui est fait n’est plus à faire. »
Sauf que la circoncision est irréversible : un individu qui regrette d’avoir été circoncis ne peut pas revenir en arrière. Alors que l’inverse est possible : un individu qui n’a pas été circoncis peut se faire circoncire s’il le souhaite, en connaissance de cause. « Ce qui est fait n’est plus à faire », mais ne peut pas être défait au cas présent, oublie l’auteur, pour qui la notion de consentement semble étrangère. Que répondre à quelqu’un qui n’aurait jamais choisi d’être circoncis s’il en avait eu le choix ?
De plus, le raisonnement de l’auteur repose sur un faux dilemme car il ne prend pas en compte la possibilité qu’un individu non circoncis soit satisfait de son état et choisisse de garder son prépuce, même en vivant dans une société où la circoncision est la norme (exemples : Israël, États-Unis).
Par conséquent, il apparaît évident qu’il est dans l’intérêt de l’enfant (et de l’adulte qu’il deviendra) de reporter la décision d’une éventuelle circoncision à un âge où le consentement est possible, et que l’intérêt des adultes à contraindre l’enfant par la circoncision passe après.
C’est pour cela qu’en 2013, les défenseurs des enfants des cinq pays nordiques ont signé une résolution intitulée Laissez les garçons décider eux-mêmes s’ils veulent être circoncis ou non, qui considère que « la circoncision des garçons mineurs sans indication médicale va à l’encontre de la Convention internationale des droits de l’enfant » et que « [c]e qui est dans le meilleur intérêt de l’enfant doit toujours être prioritaire, même si cela peut limiter le droit des personnes de s’acquitter de leurs rituels religieux ou traditionnels. »
Entretien réalisé en 2012 avec la Dre Anne Lindboe, pédiatre et alors défenseure des enfants en Norvège, un an avant la résolution mentionnée ci-dessus.
(en anglais, sous-titres non disponibles)
Enfin, nous ne comprenons pas comment l’auteur peut dire que « la loi française reconnait et protège la pratique, qui est considérée comme un droit fondamental. » À notre connaissance, en France, la circoncision des enfants est « plus tolérée que légalisée ». Quoi qu’il en soit, la légalité d’une pratique n’en garantit pas la moralité, comme en témoigne la scandaleuse loi allemande qui protège la circoncision rituelle infantile.
VI. Est-il discriminatoire de vouloir protéger tous les enfants ?
Dans sa conclusion, l’article de Causeur sous-entend que remettre en question la circoncision rituelle des enfants est discriminatoire envers les communautés qui la pratiquent, et mentionne la communauté juive : « Le message envoyé à une communauté ayant une présence bimillénaire en Europe et fortement éprouvée ne pourrait être plus clair : “Raus” ! » (le mot « raus » signifiant « dehors » en allemand, l’auteur fait clairement référence à l’antisémitisme nazi).
Associer les critiques de la circoncision à de l’antisémitisme est malhonnête. Cela détourne l’attention des enjeux éthiques et scientifiques pour attaquer les motivations supposées des critiques. Il s’agit d’un sophisme par association.
Ce type de propos est non seulement dommageable pour la qualité du débat démocratique, mais surtout insultant pour toutes les personnes qui œuvrent sans relâche dans l’intérêt de l’enfant, et qui sont bien souvent elles-mêmes victimes de la circoncision.
En réalité, il serait antisémite de ne pas oeuvrer pour la protection des enfants issus de parents juifs. Le juriste Sami Aldeeb explique dans un livre publié en 2001 : « La peur de l’accusation d’antisémitisme a conduit les mouvements anti-circoncision aux États-Unis à ne parler que de la circoncision routinière […], excluant de la sorte la circoncision religieuse. Mais ceci n’est pas sans poser un problème moral à ces mouvements, car cela signifie qu’il ne faut pas protéger les enfants juifs. Des opposants juifs à la circoncision n’hésitent d’ailleurs pas à leur reprocher cette attitude qui est, à juste titre, une forme d’antisémitisme. » Marilyn Milos, doyenne de la lutte contre la circoncision de routine aux États-Unis, raconte qu’elle n’a plus hésité à se prononcer pour la protection de tous les enfants après qu’un avocat juif lui a demandé si elle était antisémite, parce qu’elle ne parlait pas du sort des enfants juifs et musulmans.
La conclusion de l’article de Causeur apparaît d’autant plus contradictoire et injuste quand on sait que le mouvement pour l’abandon de la circoncision non consentie compte de nombreux juifs. Que l’on pense au pionnier Edward Wallerstein, aux docteurs Jenny Goodman et Mark Reiss, au psychologue Ronald Goldman, au psychiatre Richard Schwartzman, aux réalisateurs Victor Schonfeld et Eliyahu Ungar-Sargon, aux militantes Lisa Braver Moss et Rebecca Wald fondatrices de Bruchim, aux militants Eran Sadeh, Jonathan Friedman, ou encore aux frères Ephraim et Manasseh Seidenberg fondateurs de prepuce.ch, pour ne citer que certains des plus connus.
Il existe ainsi un mouvement d’opposition à la circoncision au sein de la communauté juive. Certains juifs abandonnent la pratique de la circoncision (Brit Milah) au profit d’une cérémonie alternative (Brit Shalom), laquelle est promue en France par le collectif Brit Shalom l’Alliance Sans Souffrance.
Brit Shalom : un rituel alternatif à la Brit Milah
Extrait du documentaire historique produit par Arte en 2022 (en français)
L’avenir de la circoncision juive passera-t-il par Brit Shalom à 8 jours et Brit Milah à l’âge du consentement ? Le colloque sur l’avenir de la circoncision organisé en 2015 par l’Association des Médecins Israélites de France et le Fonds Social Juif Unifié a ouvert la voie à un tel débat, en reconnaissant que la circoncision des nouveau-nés entraîne une douleur inévitable et des risques de complication, et qu’elle doit être différée dans certaines situations.
De même, il existe des musulmans qui s’opposent à la circoncision et qui abandonnent la pratique.
Des musulmans témoignent de leur opposition à la circoncision.
Extrait du documentaire historique produit par Arte en 2022 (en français)
VII. Perspectives : un consensus mondial autour de l’âge du consentement à la circoncision
La circoncision modifie le pénis de manière irréversible en supprimant le prépuce et ses fonctions. Il est indéniable que cette pratique peut entraîner des souffrances, parfois lourdes et pour la vie entière.
Puisque la circoncision présente un risque de souffrance, il est raisonnable de penser que la personne la mieux placée pour décider si ce risque vaut la peine d’être pris est celle qui devra vivre avec les conséquences.
Ainsi, la solution entraînant le moins de souffrance et le plus de bien-être est d’attendre que la personne concernée soit apte à choisir si elle veut se faire circoncire ou non.
C’est pourquoi Droit au Corps souhaite l’ouverture d’un débat public sur les conditions du consentement à la circoncision, dans un esprit de compassion. En 2019, notre association a lancé un Appel au gouvernement français et a obtenu une impressionnante diversité de signatures publiques. C’est dans la perspective de s’accorder sur une circoncision pratiquée seulement à l’âge d’un consentement réellement libre et éclairé que nous en avons informé les autorités religieuses musulmanes et juives.
Discours de Droit au Corps prononcé lors de la journée mondiale pour l’autonomie génitale 2024.
L’association Droit au Corps est pleinement engagée à poursuivre le débat, que ce soit avec Causeur ou d’autres défenseurs de la circoncision non consentie.