Éducation sexuelle : les éditions Auzou négligent-elles les organes sexuels masculins ?

C’est une chose que l’on ne pensait plus voir en France de nos jours. Dans un récent livre d’éducation sexuelle publié par la maison Auzou, les sections consacrées aux organes sexuels masculins sont hautement incomplètes et trompeuses. Et ce n’est pas tout : après avoir élaboré de nouveaux schémas avec l’aide de Droit au Corps, qui devaient être diffusés en ligne en guise d’erratum, Auzou n’en a rien fait, laissant son lectorat dans l’erreur et notre association sans réponse.

Image d’illustration – Crédit geralt sur Pixabay

Le 13 septembre 2024, la maison Auzou, dont l’essentiel de l’activité repose sur l’édition de livres pour enfants, publie un ouvrage intitulé C’est quoi la sexualité ?, écrit par la sexologue Roxane Renière et illustré par Cathy Karsenty, avec une relecture scientifique assurée par Sarah Barthère.

Dans les semaines qui suivent, des sympathisants de Droit au Corps nous signalent que le livre contient des erreurs en ce qui concerne les organes sexuels masculins. Vérification faite, Droit au Corps en constate l’ampleur.

Sommaire :

  1. Les organes sexuels masculins sont mal représentés et décrits
  2. Des erreurs surprenantes dont pâtissent les enfants
  3. Auzou et Droit au Corps collaborent sur de nouveaux schémas
  4. Auzou ne publie pas les nouveaux schémas et rompt la communication avec Droit au Corps
  5. Demandez à Auzou de mieux faire à l’avenir

Les organes sexuels masculins sont mal représentés et décrits

Sur les schémas consacrés aux organes sexuels masculins, le prépuce n’est même pas nommé et, visuellement, rien n’indique sa présence. Au-delà du prépuce, d’autres structures anatomiques essentielles sont absentes, comme le canal déférent ou les vésicules séminales. C’est simple, les schémas donnent l’impression d’avoir été publiés dans un état inachevé.

Les schémas consacrés aux organes sexuels masculins sont de mauvaise qualité.
Dessins de Cathy Karsenty dans C’est quoi la sexualité ? (Auzou, 2024) : Droit au Corps les publie ici dans un but critique, l’exception au droit d’auteur s’applique (article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle).

Le fait que le livre soit destiné à un jeune public (« Dès 10 ans ») n’est pas une excuse pour de telles omissions. Le prépuce est une structure anatomique complexe qui possède plusieurs fonctions majeures. À cet égard, il aurait dû être clairement représenté et nommé. De même pour les autres structures manquantes, qui sont présentes dans les cours de SVT niveau collège.

D’autant plus que, dans ce même livre, les schémas consacrés aux organes sexuels féminins sont nettement plus détaillés. Des structures anatomiques telles que le capuchon du clitoris (ou prépuce clitoridien, analogue au prépuce du pénis), les trompes de Fallope ou encore les bulbes vestibulaires sont représentées et nommées.

Les schémas consacrés aux organes sexuels féminins sont d’un niveau de qualité nettement supérieur à leurs homologues masculins : la différence de traitement est frappante.
Dessins de Cathy Karsenty dans C’est quoi la sexualité ? (Auzou, 2024) : Droit au Corps les publie ici dans un but critique, l’exception au droit d’auteur s’applique (article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle).

Et les problèmes ne s’arrêtent pas là. Absent des schémas, le prépuce est néanmoins défini dans le lexique, mais de manière problématique :

« Prépuce : Petite peau qui entoure le gland du pénis. Pour différentes raisons, notamment médicales, hygiéniques ou religieuses, le prépuce est parfois retiré (circoncision). » [en gras par nous]

Loin d’être une « petite peau », le prépuce représente entre un tiers et la moitié de la peau du pénis. Sa face interne est une muqueuse. Il n’entoure pas le gland, il le recouvre

Cette définition simpliste, suivie de la précision que le prépuce est « parfois retiré », laisse penser que le prépuce n’a aucune valeur intrinsèque, alors qu’il joue un rôle important en matière de protection, de sensibilité et de mécanique sexuelle.

Là encore, le contraste avec le traitement accordé aux organes sexuels féminins est frappant. Dans le lexique, on trouve la définition suivante :

« Clitoris : Petit organe érectile de la vulve. La majeure partie du clitoris est cachée. Le clitoris est très sensible au toucher. Lorsqu’il est stimulé, il se gorge de sang et augmente de volume. Son unique rôle est de procurer du plaisir sexuel. » [en gras par nous]

En comparaison, aucune des définitions concernant les organes sexuels masculins n’évoque la sensibilité au toucher ou le plaisir sexuel.

Au vu de tous ces éléments, il est évident que les passages du livre consacrés aux organes sexuels masculins sont de mauvaise qualité et qu’ils n’ont pas bénéficié du même soin que ceux consacrés aux organes sexuels féminins.

Des erreurs surprenantes dont pâtissent les enfants

Ces erreurs sont d’autant plus préoccupantes qu’elles concernent un livre destiné aux enfants, dont certains découvriront pour la première fois l’anatomie sexuelle.

Concernant le schéma des organes sexuels masculins externes : si l’intention était de représenter un pénis décalotté, cela aurait dû être précisé à l’écrit et illustré de manière explicite. En l’état, il est impossible pour le lecteur dont le prépuce n’est pas encore rétractable (condition la plus fréquente avant l’adolescence)  de comprendre ce qu’il observe. 

Confronter un enfant à un tel contraste entre son anatomie et l’illustration du livre comporte un risque de trouble du développement psychosexuel, d’autant plus à un âge où les questionnements et les inquiétudes sur cette partie du corps sont fréquents. Par exemple, un enfant pourrait croire que son pénis est anormal et qu’il doit être modifié pour devenir « normal, comme dans le livre ». Et la définition du prépuce dans le lexique n’arrange rien.

La question se pose de savoir comment les sections dédiées aux organes sexuels masculins ont pu être publiées dans cet état, alors que l’une des autrices est sexologue et que le livre a fait l’objet d’une relecture scientifique.

Quoi qu’il en soit, il est clair que ces contenus ne respectent pas l’engagement d’Auzou sur la qualité de ses produits et que la maison d’édition doit corriger le tir.

Auzou et Droit au Corps collaborent sur de nouveaux schémas

En octobre 2024, notre association prend contact avec la maison Auzou pour lui signaler les contenus problématiques.

Droit au Corps demande alors à Auzou :

  • d’informer son lectorat des erreurs présentes dans le livre (via un message sur la fiche produit et sur ses différents canaux de communication) ;
  • de mettre le livre à jour en cas de second tirage ; 
  • de s’engager à mieux représenter les organes sexuels masculins à l’avenir.

Dans notre courriel, nous expliquons à Auzou que si ces demandes sont satisfaites, Droit au Corps félicitera publiquement l’éditeur et promouvra l’ouvrage corrigé, mais que dans le cas contraire, nous communiquerons largement sur les problèmes du livre. Avec cette approche, nous permettons à Auzou de contrôler sa communication et de sortir de cette affaire par le haut, l’unique intérêt de Droit au Corps étant la diffusion d’informations correctes.

Et cette stratégie fonctionne, du moins en apparence. Une personne ayant un poste de direction chez Auzou nous remercie tout d’abord de notre vigilance puis, après avoir étudié le dossier, nous informe que les éditions Auzou acceptent de faire ré-illustrer les schémas et nous demandent davantage de temps pour communiquer auprès de leur lectorat. Auzou nous sollicite même pour obtenir un exemple de schéma sur lequel s’appuyer.

Avec l’assistance de Droit au Corps, Auzou travaille alors sur de nouveaux schémas. Dans une série d’échanges de courriels entre le 4 novembre et le 4 décembre 2024, nous transmettons nos suggestions d’amélioration, auxquelles Auzou répond en soumettant de nouvelles versions, jusqu’à aboutir à une version que nous jugeons assez qualitative pour être publiée.

Les nouveaux schémas constituent une amélioration considérable par rapport à ceux du livre, avec un niveau de détail comparable à celui des organes sexuels féminins.
Ces schémas résultent de la collaboration entre Auzou (dessins de Cathy Karsenty) et Droit au Corps (instructions détaillées). Comme nous l’expliquons plus loin, ils n’ont finalement pas été publiés par Auzou, alors qu’ils auraient dû être mis en ligne pour informer son lectorat. 
Bien qu’une atteinte au droit d’auteur puisse théoriquement être invoquée, Droit au Corps a décidé de diffuser ces schémas dans un but pédagogique et dans l’intérêt supérieur des enfants. Toute personne ayant offert le livre à un enfant peut ainsi les lui transmettre en guise de mise à jour.

Pour accompagner les schémas, Droit au Corps propose également une explication indispensable afin que l’enfant comprenne le processus de développement de son pénis et ne s’inquiète pas si son prépuce n’est pas encore rétractable (surtout dans des pays où il y a une obsession du décalottage) :

« À la naissance, le prépuce est fusionné au gland et son orifice est étroit. Au cours de la croissance, le prépuce va se séparer du gland et s’élargir. Il deviendra alors possible de rétracter (décalotter) le prépuce derrière le gland, à un âge variable (moyenne : 10 ans). Il ne faut JAMAIS forcer le décalottage, c’est douloureux et ça peut blesser le prépuce.
Attention : le mot « phimosis » est souvent utilisé à tort pour décrire un état normal de prépuce non rétractable. Cette confusion entraîne des diagnostics erronés et peut conduire à des interventions médicales injustifiées. »

Enfin, Droit au Corps propose de changer la définition du prépuce dans le lexique par :

« Prépuce : Structure qui recouvre le gland du pénis, composée d’une couche de peau (extérieure) et d’une couche de muqueuse (intérieure). En plus de protéger le gland, le prépuce est très sensible au toucher et sa mobilité favorise le confort des deux partenaires durant l’activité sexuelle. Pour différentes raisons, notamment culturelles et religieuses, supposément hygiéniques, ou plus rarement médicales, le prépuce est parfois retiré (circoncision). La circoncision pose un problème éthique lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de la personne. »

Et dans le cas où Auzou jugerait cette nouvelle définition trop longue (82 mots contre 22 dans le livre), nous suggérons de retirer les deux phrases qui parlent de circoncision, en cohérence avec la définition du clitoris qui ne précise pas qu’il (ou son capuchon) est parfois retiré pour des raisons similaires. La définition du prépuce ferait alors 47 mots et serait de taille équivalente à celle de clitoris (42 mots).

Consentement : quid des modifications génitales ?

Lors de nos échanges, nous avons aussi transmis à Auzou l’observation suivante : 

« Dans un livre qui met en avant l’importance du consentement, il est regrettable que la question des modifications génitales non consenties ne soit pas abordée, alors que les enfants sont les principaux concernés et que certains prennent conscience des dommages subis avant la puberté. »

Auzou ne publie pas les nouveaux schémas et rompt la communication avec Droit au Corps

Alors qu’il ne restait plus qu’à communiquer les nouveaux schémas à son lectorat, Auzou n’en a rien fait. La maison d’édition a cessé de nous répondre dès le moment où nous avons validé les schémas, le 4 décembre 2024 (leur dernier courriel date de la veille). Nous les avons relancés à trois reprises depuis, en décembre, en janvier et en février, mais nos courriels sont restés sans réponse. 

Dans notre dernier courriel daté du 10 février 2025, nous informons Auzou que nous publierons un article si nous n’avons pas de retour de leur part d’ici le 14 février. N’ayant reçu aucune réponse, nous sommes au regret de publier le présent article et de signaler le livre dans l’Observatoire de la santé du pénis.

Droit au Corps aura tout mis en œuvre pour permettre à la maison Auzou de corriger son erreur, communiquer au mieux et sortir grandie de cette affaire, en lui laissant un délai plus que suffisant pour agir.

Au-delà des problèmes du livre, Droit au Corps trouve particulièrement scandaleux que Auzou ait collaboré avec nous sur de nouveaux schémas pour ne rien en faire, laissant notre association sans réponse. Rappelons que Droit au Corps est une association composée uniquement de bénévoles : plusieurs d’entre eux, dont un médecin, ont consacré du temps et de l’énergie pour aider Auzou à aboutir aux schémas non publiés.

Le comportement d’Auzou est d’autant plus choquant quand on considère que ses jeunes lecteurs demeurent dans l’erreur des schémas actuels, alors que la diffusion d’une mise à jour en ligne aurait permis à de nombreux parents de la transmettre à leurs enfants.

Précisons qu’à aucun moment Droit au Corps n’a demandé à Auzou d’être créditée pour l’aide apportée : si la maison d’édition avait diffusé la mise à jour, notre association se serait contentée de relayer positivement l’information, sans rien attendre en retour.

Demandez à Auzou de mieux faire à l’avenir

Droit au Corps invite son lectorat à écrire à Auzou (lequipe@auzou.com) pour lui demander de ne plus commettre de telles erreurs.

Voici un modèle de courriel que vous pouvez adapter à votre situation :

Objet : Problèmes dans votre livre « C’est quoi la sexualité ? »

À l’attention de la direction éditoriale d’Auzou

Bonjour,

Je trouve anormal et choquant que les organes sexuels masculins soient mal représentés dans votre livre « C’est quoi la sexualité ? » publié le 13 septembre 2024.

En tant que personne susceptible d’offrir un livre sur l’éducation sexuelle à un enfant, j’attends de la part d’une maison d’édition telle que la vôtre que l’anatomie et les fonctions des organes sexuels soient traitées avec le plus grand sérieux.

En l’état, je ne peux pas offrir ce livre. Une mise à jour est-elle prévue en cas de nouveau tirage ? Un erratum sera-t-il publié sur votre site ?

Puis-je avoir confiance en Auzou pour mieux faire à l’avenir ?

Cordialement,

Droit au Corps a dûment informé les éditions Auzou de la publication de cet article pour leur permettre d’exercer leur droit de réponse.

Il va sans dire que notre association sera particulièrement vigilante aux prochains livres publiés par Auzou en matière d’éducation sexuelle.