« L’impensable s’est finalement produit : mon mari a fait circoncire notre garçon de 9 ans », témoigne Emma

Pendant des années, Emma (le prénom a été changé) a réussi à empêcher la circoncision de son fils, voulue par son mari. Mais lors de vacances en Algérie, ce dernier a profité de l’occasion pour la faire pratiquer en secret, trahissant à la fois Emma et leur enfant. Profondément marqué, le garçon tente aujourd’hui de se reconstruire, tandis que sa relation avec son père reste abîmée.

Image d’illustration

Témoignage de Emma

L’impensable s’est finalement produit : mon mari a fait circoncire notre garçon de 9 ans, alors qu’ils étaient partis en vacances en Algérie sans moi. Je l’ai appris 10 jours plus tard, par message vocal, alors que mes enfants n’étaient pas encore revenus de leur séjour là-bas. 

Sidération. 

Je n’ai pas de mots pour décrire ce que j’ai ressenti quand notre fils m’a expliqué que lui-même n’avait pas été informé de l’intervention qu’il allait subir, que son père avait prétendu que lui et sa soeur devaient passer des examens pour le COVID, à quelques jours d’intervalle.

J’ai rencontré mon mari à 16 ans. J’en ai aujourd’hui 42.

Je viens d’une grande fratrie, issue d’une famille catholique bourgeoise française sur des générations. J’étais la seule fille, mais même si j’étais attachée à ma famille, je n’avais pas le sentiment d’y avoir une place particulière. Lui est français d’origine algérienne, kabyle pour être exacte, musulman, famille nombreuse aussi. Notre couple venait incarner les valeurs d’ouverture prônées dans ma famille d’origine. Sa culture familiale me dépaysait, décoiffante, joyeuse, bruyante, chaleureuse, accueillante. Tout me plaisait : les spécialités culinaires, les tenues vestimentaires, la musique, les intellectuels et artistes comme Lounes Matoub ou Idir, les sonorités de la langue… tout ce qu’il me donnait à voir.

Il aura fallu plusieurs années avant que mon amoureux ne me présente à sa famille, quelques mois avant que nous n’emménagions ensemble. Il voulait être « sûr » que j’étais la bonne. À cette époque, la question de la circoncision d’un potentiel fils qu’on aurait plus tard n’était pas venue sur le tapis. Ni celle du mariage. Mais notre histoire était sérieuse.

Les années ont passé, puis l’envie de mariage est arrivée. Il voulait savoir si je serais d’accord pour faire circoncire notre fils si nous en avions un. J’ai trouvé sur internet des arguments hygiénistes surtout : j’y comprends que ce serait « mieux » d’être circoncis. Pour lui, c’était un acte culturel, pas religieux, mais fondamental. Je me souviens avoir eu des débats avec des collègues, avec ma famille : les gens ne comprenaient pas que l’on puisse imposer ça à un enfant. « Abus de pouvoir », disaient-ils. J’étais très fâchée, je les traitais d’intolérants. Il était clair pour moi, en me mariant, que si nous avions un fils, il serait circoncis.

Avec le recul, je réalise qu’à l’époque, je n’avais eu qu’une seule expérience sexuelle avec un homme non circoncis. Sinon, je ne connaissais qu’un seul sexe masculin, circoncis, celui de mon mari. Je souffrais souvent de saignements, de douleurs pendant les rapports, mais ma gynécologue m’expliquait que j’avais « une peau de blonde », et mon mari était un peu fier de dire que c’était sûrement parce qu’il avait un sexe « plus gros que la normale ». Je n’avais pas conscience du rôle du prépuce dans la sexualité.

Nous étions ensemble depuis plus de 10 ans lorsque nous nous sommes mariés. Belle cérémonie mixte. Mon père officie. C’est émouvant, les mots sont bien choisis, nous écrivons des vœux d’ouverture à l’autre, valses, rocks, et danses traditionnelles kabyles, robe blanche et robes bigarrées, henné, un monde fou. Même le traiteur nous a dit qu’il n’avait jamais vécu un aussi beau mariage mixte. Je tombe vite enceinte après le mariage. Nous sommes heureux.

À l’échographie morphologique du 5ème mois, c’est la douche froide : notre petit bébé (dont nous choisissons de ne pas connaître le genre) est porteur d’une malformation [Note de Droit au Corps : malformation qui ne concerne pas les organes sexuels]. Examens plus approfondis : la malformation est si importante, qu’elle est peut-être associée à un syndrome grave. Peut-être attendons-nous un bébé qui ne sera pas viable. Amniocentèse, avec risque d’accouchement prématuré. Puis attente… le bébé bouge, on « communique » avec lui. Attente interminable. Finalement, les recherches génétiques sur les syndromes les plus connus montrent que le bébé n’aurait pas de syndrome associé. Après avoir envisagé le pire, nous réinvestissons enfin la grossesse et surtout projetons l’arrivée de ce bébé pour 2 mois plus tard.

De par mon métier, je sais quel parcours est celui des enfants porteurs de cette malformation, le chirurgien de l’Hôpital nous explique que c’est un marathon, un parcours long, lourd, ponctué de nombreuses opérations chirurgicales dont la première à 6 mois de vie… puis une tous les ans environ pour quelques années, et un suivi jusqu’à la fin de la croissance.

Lors de la première année de vie de notre fils, mon mari n’a pas parlé de la circoncision, mais lorsque l’entourage le fait, nous sommes tous les deux d’accord pour dire que nous avons « d’autres chats à fouetter » avec la prise en charge de la malformation, le suivi étant lourd et éprouvant, comme annoncé. 

Un de nos neveux est circoncis alors qu’il a 3 ans. La maman du petit, la sœur de mon mari, m’avait dit qu’elle était « contente d’avoir réussi à trouver un médecin juif qui [avait] accepté de dire que le petit [avait] un phimosis », ce qui permettait de « se faire rembourser l’opération à 100% par la Sécurité Sociale ». Elle et son mari avaient choisi de ne pas expliquer à leur fils ce qui allait lui arriver. Je les revois raconter le réveil de leur fils, choqué de voir son zizi emballé dans un pansement. La question de la circoncision se pose pour notre fils ce jour-là : je réponds que nous sommes là pour notre neveu, que celle de notre fils ne se pose pas pour l’instant. Mon beau-frère abonde en disant qu’en effet, « avec toutes les opérations qu’il a à subir, on ne va pas lui en rajouter ».

Notre fils a 2 ans et demi à la naissance de notre fille. Mon mari met la circoncision sur le tapis, arguant que « notre fils est assez grand », que « ce serait super de le faire avec un de ses cousins à l’été ». J’émets des réserves, je dis que c’est trop d’interventions à subir, celle-ci n’étant pas nécessaire, que je ne suis pas prête. Mon mari me dit que je ne « respecte pas ma promesse d’avant mariage » et que donc, je peux « chercher un avocat pour divorcer ». Il se passe une semaine très difficile durant laquelle il est odieux avec moi, au point que j’envisage de quitter la maison. C’est à ce moment-là que je commence à me renseigner plus en profondeur sur la circoncision. Mes recherches me mènent au site de Droit au Corps, et je commence à douter de plus en plus du bien-fondé de la pratique. Je vais alors essayer de gagner du temps : plus on reculera le moment de le faire, plus notre fils aura la possibilité de s’y opposer de lui-même. Je prends donc mon courage à deux mains et j’arrive à dialoguer avec mon mari. Nous convenons d’attendre que notre fils « soit prêt ». 

Deux ans plus tard, notre fils subit deux greffes osseuses, puis nous déménageons en Malaisie, terre musulmane où la circoncision est la norme. Nous sympathisons avec d’autres couples mixtes (tous les pères d’origine algérienne, et mères d’origines diverses, musulmanes, converties, ou non religieuses) : leurs fils sont tous circoncis.

Mon mari remet la circoncision sur le tapis. Avec grande insistance. Partant du principe que nous avions décidé d’attendre qu’il soit prêt, mon mari essaie de convaincre notre fils, alors âgé de 5 ans. Il le fait rêver en lui promettant « une belle fête, un iPad, des cadeaux »… Notre fils me dit qu’il est tiraillé. Il fait des cauchemars. Il ne sait pas quoi faire. Il a peur de décevoir son père, peur de perdre son amour. Je lui dis : « Parles-en à papa, demande-lui ». Il dit alors à son père : « J’ai peur que tu m’aimes moins si je ne fais pas la circoncision. » Son père répond : « Enfin, c’est quoi cette question ? Bien sûr que je t’aimerai moins… » C’était du quinzième degré, mais j’ai eu l’impression que notre fils se prenait une claque. Moi-même mise sous pression, je pense soulager tout le monde en lui disant qu’on va le faire circoncire, que « ça va bien se passer ». Je rassure notre fils. Même si à l’intérieur, je suis bouleversée. Je me convaincs en me disant que faire ça loin de la famille de mon mari me permettra de rester maîtresse de la situation, de ne pas avoir la fête outrancière qui ira avec, de faire ça en petit comité. 

Rendez-vous est pris à l’hôpital, et je demande à rencontrer, moi aussi, le chirurgien. Le rendez-vous ne me rassure pas du tout. Le chirurgien est condescendant vis-à-vis de moi, balaye mes questions. Les médecins malaisiens ne connaissent pas la circoncision sous anesthésie locale alors que c’est ce que j’aurais préféré, notre fils ayant déjà subi six anesthésies générales [Note de Droit au Corps : dans une ligne directrice publiée en 2021 en Allemagne, six sociétés savantes considèrent que « l’anesthésie générale doit être combinée à une anesthésie régionale »]. Le médecin ne m’inspire pas, et l’angoisse m’envahit : je me dis que je ne me remettrai jamais d’avoir fait subir cet acte à notre fils, de lui avoir imposé une ablation du prépuce, d’avoir touché à son intimité… Et s’il me le reprochait plus tard, comment vivrais-je avec ça ? Et si sa/son partenaire sexuel/le en souffrait ?

Je retourne sur le site de Droit au Corps : ce que j’y lis me confirme que je ne dois pas lui imposer un tel acte. Je contacte l’association pour qu’ils m’aident à faire changer mon mari d’avis, ou a minima à m’opposer. J’annule l’opération au dernier moment. Mon mari me dit, je le cite, que je vais « faire de notre fils un faible », qu’il sera comme moi, « paumé dans la vie, sans culture, sans racines, sans identité ». 

J’écume tous les arguments. Tous. Rien n’y fait. Une colère froide l’habite. Les tensions sont très dures à vivre, mais je tiens bon. Mon discours d’alors est de dire que notre fils est « trop petit pour décider ». « Il croit encore au Père Noël et veut regarder la télé 8h par jour : comment pourrait-il savoir ce qu’il fait en acceptant de se faire couper un morceau de son corps ? »

En parallèle, je cherche un moyen de protéger notre fils, et contacte une avocate recommandée par Droit au Corps. Je rédige, sur ses conseils, une convention stipulant que mon mari est au courant que je m’oppose à la circoncision, et qu’il s’expose à des poursuites pénales s’il la fait faire quand même. Il faut que je la lui fasse signer et que je la fasse certifier devant notaire (en Malaisie, c’est compliqué). J’ai très peur de lui soumettre le document.

En même temps, l’été arrive, et un autre de nos neveux va donc se faire circoncire en Algérie. Il est prévu que les enfants aillent là-bas quelques jours avant nous. Je fais part à mon mari de ma peur que notre fils soit circoncis en notre absence. Il est outré, choqué, atterré que je puisse penser une chose pareille : « On n’est pas des sauvages », me dit-il. Je renonce à soumettre la convention, quelque part rassurée par sa réaction outrée. Notre fils n’est pas circoncis cet été-là. Notre neveu l’est, comme prévu.

Mon mari continue à essayer de convaincre notre fils de vouloir se faire circoncire (« je serai tellement heureux », « tu seras un homme, c’est comme ça dans ma famille »), mon beau-père évoque « la belle fête » qu’ils lui feront… Notre fils vient me voir, torturé : « Je voudrais bien un iPad, mais j’ai pas envie qu’on coupe le chapeau de mon zizi » (image choisie par mon mari). « Papa va être trop déçu, mais en fait moi je veux pas ». Bref, le dilemme est terrible. Pensant l’aider, je lui dis : « Je ne suis pas d’accord pour que tu sois circoncis maintenant. Donc si ça peut permettre que papa arrête de t’embêter avec ça, dis-lui que tu le feras plus tard. Il ne pourra rien faire : il faut l’accord des deux parents pour faire subir une intervention à un enfant. Pour ta malformation, on doit toujours signer tous les deux les documents de l’hôpital. Donc tu lui dis : “Ok je le ferai un jour”, et comme ça il te laissera tranquille. »

Notre couple souffre depuis longtemps, probablement en grande partie à cause du conflit qui nous oppose sur la circoncision. Mon mari verbalise qu’il a trop de colère, qu’il est persuadé que la circoncision sauverait notre couple. Je continue à refuser. Il reste insensible à tous mes arguments, et je les épuise absolument tous. Nous parlons divorce, sans rien acter. J’évoque de consulter un médiateur ou un psychologue. Il refuse : « Je n’ai pas changé, je sais ce que je veux. » 

Retour en France après quatre années à l’étranger : nous projetons quand même de continuer ensemble pour l’instant. Il faut stabiliser les enfants. Mon mari part en vacances avec eux en Algérie en août. Il me propose, du bout des lèvres, une fois leurs billets réservés, de me joindre à eux, mais j’avais déjà, par le passé, dit que les vacances en Algérie n’étaient pas un moment agréable pour moi, et que je ne souhaitais pas y aller. Il n’essaie pas de me convaincre, et je suis agréablement surprise qu’il ne me mette pas de pression. Je me dis qu’il commence à accepter la façon dont je souhaite vivre ma relation à sa famille et à l’Algérie.

Ils partent le 8 août. J’ai peu de nouvelles pendant le séjour. Peu de photos. Je me demande ce qu’il manigance : je pense qu’il va m’annoncer notre divorce une fois que je serai réinstallée en France, dans un nouveau logement, dans une nouvelle ville, que les enfants auront repris l’école, que je serai alors coincée là, que je ne chercherai pas à m’éloigner géographiquement de lui en cas de divorce, puisque les enfants auront déjà commencé à construire une nouvelle vie.

Le 21 août, il tente de m’appeler, mais le réseau est mauvais. Il laisse un message vocal : « J’aurais préféré te le dire de vive voix. On a fait la circoncision. Tout s’est très bien passé. [Notre fils] a juste peur de ta réaction à notre retour. » 

Je suis sidérée.

Je contacte une belle-sœur dont je suis proche : il l’a caché à tout le monde, sauf à un cousin qui l’a aidé à organiser l’opération. Cousin habilement choisi puisqu’il n’a que des filles : il ne vivra jamais la circoncision d’un fils, mais a pu ainsi en vivre une par procuration.

J’ai peur qu’il ne me ramène pas mes enfants. De quoi cet homme est-il capable ?

Je retrouve mes enfants quelques jours plus tard, c’est l’anniversaire de mon fils. Il a 9 ans. Au fil de la journée, je découvre qu’il a été opéré deux jours après son arrivée. Que mon mari a menti à notre fils sur les raisons de l’anesthésie générale. Mon mari est fier de raconter la fête, l’argent récolté, le fait qu’il a tout fait « comme voulait notre fils » (pas de sacrifice animal, par exemple). 

Notre fils me dit que désormais, son père le « respectera comme un homme ». Il me dit aussi : « Je sens que ma tête va exploser à un moment, pour l’instant je ne ressens rien.  Mon cerveau n’a pas encore bien compris ce qu’il s’est passé, mais quand il va comprendre, il va exploser. » 

Quand je demande des explications à mon mari sur la préméditation, il m’explique : « La date était fixée une semaine avant le départ, […] j’ai libéré notre fils, […] j’ai juste rétabli les choses telles qu’elles devaient être. On devrait pouvoir surmonter ça. Le monde nous appartient. » 

Avant de partir en Algérie, il a donc contacté un de ses cousins, lui demandant de se renseigner à la clinique de la ville voisine. Une fois les infos prises, il lui a demandé de réserver le créneau pour l’opération. C’était ficelé une semaine avant le départ, jusqu’au cadeau : une console de jeux que mes parents étaient censés offrir à notre fils pour son anniversaire. La veille du départ, une des bagues de l’appareil orthodontique de notre fils s’était décrochée : il avait été convenu que mon mari devait trouver un orthodontiste pour recoller cette bague. Alibi tout trouvé pour être occupé, à peine arrivé en Algérie, à « chercher un orthodontiste » : il en a profité pour  aller consulter l’anesthésiste dès le lendemain de leur arrivée. Lequel a rédigé un certificat médical de complaisance, déclarant que notre fils présentait un « phimosis serré nécessitant une circoncision ». À part son cousin, personne n’était au courant. La bague de l’appareil n’a jamais été recollée, mais son prépuce a bien été coupé. 

Au réveil de l’anesthésie générale, notre fils n’a pas tout de suite compris ce qui lui était arrivé. Il m’a raconté avoir « vu le pansement sur [son] zizi » et se dire « non c’est pas possible ». Il a regardé son père qui lui a dit « ça y est mon fils, on a fait la circoncision ». Notre fils m’a raconté avoir crié : « j’étais pas d’accord, t’es un menteur, je ne voulais pas le faire », puis s’être rendormi. Lorsque notre fils s’est réveillé pour la deuxième fois, mon mari lui a tendu le téléphone pour lui faire annoncer la « bonne nouvelle » à sa mamie. Toute la famille est arrivée à la clinique, sourires, youyous et photos, pour féliciter « l’heureux circoncis » et le père si fier. Une de mes belles-soeurs a refusé d’être sur les photos, choquée des circonstances et parfaitement consciente que je n’étais probablement pas au courant, mais son mari lui a dit : « Maintenant que c’est fait, on va pas faire d’histoires, pour le petit ». La mère de mon mari n’avait de cesse de se demander ce que j’allais bien pouvoir penser, extrêmement inquiète.

Ils ont organisé une grande fête. Mon mari, à son retour en France, était fier de dire que grâce à son attitude, notre fils avait « récolté plus d’argent que son cousin l’année précédente, alors que le nombre de convives était cinq fois moins élevé pour notre fils », fier de dire aussi que notre fils avait « tout décidé ». Il m’a demandé si nous pourrions « sacrifier un mouton aux prochaines vacances », et m’a dit que nous ferions « une vraie grande fête » l’année suivante, en Algérie, avec moi.

À l’heure où j’écris mon histoire, plus de deux ans après, je n’ai toujours pas le compte-rendu opératoire. Mon mari n’a jamais écrit nulle part qu’il avait en effet piégé notre fils. Il dit juste qu’il a fait « ce qu’on s’était dit », qu’il a « rétabli la balance ». En Algérie, l’autorisation de la mère n’est pas requise. 

Mon mari est un bi-national franco-algérien, né en France. Il a un poste à responsabilité dans un grand groupe. C’est quelqu’un d’intelligent, jugé ouvert. Il se considère musulman, fait le Ramadan avec assiduité, ne mange pas de porc, mais boit de l’alcool, priait le vendredi en Malaisie, va à la mosquée pendant le Ramadan en France. Un musulman très modéré. La circoncision était revendiquée comme quelque chose de culturel pour lui, pas de religieux. Ses propres parents, absolument pas pratiquants mais extrêmement attachés à leur culture kabyle, lui avaient dit de « renoncer à la circoncision si ça devait mettre [notre] couple en péril ».

Pourtant, il l’a fait. 

Je l’ai quitté une semaine après leur retour d’Algérie.

Au tribunal en référé (mesure d’urgence pour déterminer la garde des enfants), deux mois plus tard, il a produit le fameux certificat médical de l’anesthésiste. Je ne sais toujours pas où notre fils a été opéré.

La première phase du divorce vient d’être prononcée. Il ne perdra pas l’exercice de l’autorité parentale, mais le juge n’a pas été dupe de sa manigance et s’est fendu d’un paragraphe sur le sujet : « certificat médical de complaisance », « Monsieur ne peut s’exonérer de l’autorisation maternelle préalable pour cet acte non usuel », « son ambivalence questionne quant à sa sincérité », « acte définitif non médicalement justifié », « motif sérieux qui interroge quant à l’exercice de son autorité parentale ».

Notre fils, quelques mois après sa circoncision non consentie, disait : « Papa va faire tout ce qu’il peut pour se faire pardonner, mais il a du pain sur la planche ». Plus d’un an plus tard, il me disait : « Mon corps commence à le pardonner. […] Mais je sais que je dois toujours faire attention à ce que dit papa. […] J’ai pas confiance dans ce que disent les adultes. »

Mon futur ex-mari pense toujours que je suis la faiseuse d’histoires, et qu’il m’appartient, à moi, que notre fils vive bien sa circoncision. 

Notre fils a vu un psychologue environ deux fois par mois pendant un an. Il me parle beaucoup et ressent régulièrement le besoin de raconter encore et encore le déroulement de cette journée : « J’ai pas pu me préparer à la douleur », lui si habitué aux opérations, « j’ai pas pu dire au revoir à mon zizi d’avant » ; il me parle de la fête, de l’appel à sa mamie pour lui annoncer, de l’arrivée de la famille à la clinique, de la jalousie de son cousin…Il refuse absolument de parler avec son père de ce qu’il s’est passé, mais sa sœur le fait de temps en temps pour les confronter (ce que mon fils redoute terriblement). Longtemps, elle a pris la défense de son père en disant : « mais il n’a rien fait de mal, il a voulu faire une SURPRISE ! » 

Dans le cadre de la procédure de divorce, mon fils avait la possibilité de demander à être entendu par le juge ou l’avocat, mais il n’a pas souhaité le faire. Il ne veut rien déclarer qui puisse revenir aux oreilles de son père. Nous laissons le temps faire son œuvre.

Son père lui fait réciter régulièrement les « raisons » pour lesquelles c’est « bien » qu’il soit circoncis :

  • « C’est bon pour ma santé, me protéger de maladies futures » ;
  • « C’est comme ça qu’on devient un homme » ;
  • « C’est comme ça qu’Allah me reconnaît. »

Mon fils, docilement, récite.

À travers mon témoignage, j’espère faire prendre conscience que l’impensable est possible, et éviter à des mères, des pères, et surtout des petits garçons, de subir une telle « surprise ». 

Prenez toutes les mesures qu’il faut pour protéger vos fils, avant qu’il ne soit trop tard. Allez au bout des actions que vous pouvez mener, ne vous laissez pas aveugler par la peur de la réaction de l’autre. La peur n’évite pas le danger.


Note de Droit au Corps : liens insérés dans le texte par nous.