Paris, France – Si la circoncision rituelle est une pratique tolérée en France, elle est assimilée à un « acte grave » par plusieurs jurisprudences, ce qui implique de recueillir impérativement le consentement des deux parents, a rappelé le Pr Christine Grapin-Dagorno, chirurgien pédiatre, (hôpital Armand trousseau, AP-HP, Paris), lors d’une intervention à la 106ème édition du congrès de l’Association Française d’Urologie (AFU), à Paris [1]. Le praticien reste, selon elle, libre de refuser un acte non thérapeutique.
Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près 662 millions d’hommes âgés de plus de 15 ans sont circoncis, soit près de 30% de la population mondiale. Dans 70% des cas, l’ablation du prépuce a été effectuée pour des motifs religieux, en grande majorité dans la communauté musulmane. Aux États-Unis, où la pratique est courante pour des raisons d’hygiène, 75% des hommes sont circoncis. En France, elle concerne 14% de la population masculine.
Condamnée par le tribunal de Cologne
Le débat sur la circoncision rituelle a été relancé dans plusieurs pays à la suite d’un jugement du tribunal de Cologne, en Allemagne, rendu en juin 2012, qui a estimé que la circoncision d’un enfant pour des motifs religieux était une blessure corporelle passible d’une condamnation. La cour a été saisie après la mise en cause d’un médecin qui avait circoncis un garçon de quatre ans. Quelques jours après l’intervention, il était admis aux urgences pour des saignements.
Le tribunal a jugé que « le corps de l’enfant était modifié durablement et de manière irrémédiable par la circoncision », sans raisons médicales, et que « cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse ». Le médecin a toutefois été relaxé, puisqu’il n’était pas en mesure, selon le tribunal, de déterminer s’il agissait illégalement.
Depuis cette décision, qui devrait faire jurisprudence, le débat est vif Outre-rhin. Les communautés juives et musulmanes, soutenues par la communauté chrétienne allemande, ont fortement protesté, dénonçant une atteinte à la pratique religieuse et à une coutume millénaire. Les députés allemands devraient prochainement légiférer sur cette question.
Acte médical ou acte de soins
En France, comme en Allemagne avant la décision du tribunal de Cologne, la pratique bénéficie d’ « une grande tolérance », affirme Christine Grapin-Dagorno. « La circoncision ne peut recevoir de qualification pénale car, d’une part, elle a reçu la permission de la loi du fait de la coutume, l’une des sources du droit, d’autre part elle n’a jamais été remise en cause par les tribunaux français ».
Cette tolérance s’exprime notamment à travers le rapport du Conseil d’État paru en 2004. Il y est indiqué que la circoncision rituelle constitue une pratique religieuse, dépourvue de tout fondement, mais néanmoins « admise ». Le Conseil d’État a, dans un arrêt de 1997, également considéré la pratique comme un acte de soins, évitant ainsi d’éventuelles poursuites pénales à l’encontre de l’hôpital Joseph Imbert de Arles, à la suite d’un accident d’anesthésie, qui a provoqué la mort d’un garçon de cinq ans, opéré pour une circoncision rituelle.
Par ailleurs, dans le cadre de la promulgation de loi Kouchner de 2002 « relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », la commission nationale des accidents médicaux a conclu qu’ « il n’est pas possible d’exclure du champ d’application de la loi les actes médicaux sans finalité thérapeutique directe, qu’il s’agisse de chirurgie esthétique ou d’actes médicaux à finalité cultuelle », ce qui constitue en quelque sorte une « consécration » pour la circoncision rituelle, affirme Christine Grapin-Dagorno.
Recueillir le consentement du mineur
Depuis la mise en application de cette loi, l’autorité parentale est conjointe. Alors que la circoncision à visée thérapeutique est considérée comme un acte usuel, exigeant le consentement d’un seul titulaire de l’autorité parentale, la circoncision rituelle est qualifiée d’ « acte grave » par la jurisprudence, qui ne peut être envisagée qu’après le consentement écrit des deux parents, rappelle la spécialiste. Un père ou une mère isolée ne peuvent par conséquent exiger un tel acte.
De fait, « le médecin qui s’est contenté du consentement d’un seul parent pour procéder sur enfant mineur à une circoncision à des fins rituelles a agi avec une légèreté blâmable », ce qui implique une possible condamnation. De même « le parent qui fait circoncire son enfant à l’insu de l’autre peut se voir retirer son droit de visite et d’hébergement ». Plusieurs jurisprudences rapportent ainsi depuis quelques années des condamnations de parents ayant pris seuls la décision de l’opération.
Il reste la délicate question du consentement du mineur. « Il doit être recherché comme pour toute intervention », souligne Christine Grapin-Dagomo, citant une autre jurisprudence, qui, face à une demande de circoncision d’un enfant de 11 ans, a considéré que le garçon était suffisamment âgé pour que son consentement soit également recueilli.
Une inévitable question éthique
D’un point de vue éthique, la question de la circoncision représente « un dilemme moral pour les praticiens », a souligné Pierre Le Coz, vice-président du Comité consultatif national éthique (CCNE). Ils sont en effet pris entre la volonté de satisfaire l’exigence des parents, qui peuvent se montrer frustrés et indignés de se voir refuser l’opération, la perception que l’acte, en portant une atteinte irréversible à l’intégrité de l’enfant, est « malfaisant », tout en considérant également qu’il peut l’aider à se sentir intégré dans sa communauté.
Pour répondre au dilemme, le praticien pourra s’appuyer sur un raisonnement, soit de type utilitariste, soit de type déontologique, explique Pierre Le Coz. « Dans le cas de l’utilitarisme, une action est éthiquement acceptable lorsqu’elle élargit le différentiel entre la quantité des plaisirs et la somme des douleurs. Le but sera d’augmenter le bonheur de tous », parfois au dépend du bonheur individuel.
Dans cette perspective, « on peut justifier la circoncision ». En Allemagne, la décision du tribunal de Cologne a suscité une consternation des communautés musulmane et juive, qui a « réduit le différentiel entre plaisirs et douleurs au sein de ces communautés ». Dans le discours utilitariste, « lorsqu’un l’intérêt individuel ne rejoint pas l’intérêt collectif, il vaut mieux alors sacrifier quelques individus, sans même obtenir leur consentement, pour le bien-être global d’une communauté ».
Avec un raisonnement déontologique, « le devoir est de respecter l’égale dignité en chaque personne », en sauvegardant l’intégrité de l’individu, qu’importent la tradition et le plaisir de la communauté. C’est à travers ce raisonnement que le tribunal de Cologne, a pris sa décision, considère Pierre le Coz, « quitte à susciter de la consternation ».
Tension entre deux représentations
« Il y a, à travers ce dilemme éthique, une tension entre deux système de représentation, l’un incarné par la tradition, qui perçoit la circoncision comme un acte symbolisant le lien avec Dieu, l’autre mené par un courant progressiste » qui veut instaurer l’idée qu’un individu peut vivre pleinement sa foi, sans avoir à intervenir sur son corps. D’un côté, « le groupe prime sur l’individu », de l’autre c’est « la société qui est au service de l’individu ».
« Il convient désormais de trouver des compromis, plutôt que de maintenir une position frontale », a conclu le vice-président du CCNE. Pour sa part, Christine Grapin-Dagomo rappelle qu’ « une intervention à but non thérapeutique n’est jamais obligatoire ». Si le dilemme ne peut être surmonté, « il n’y a pas à s’obliger à la pratiquer ».
Cette année, le comité d’éthique et de déontologie de l’AFU a choisi de consacrer sa réflexion aux problèmes d’éthique et de déontologie soulevés par la circoncision rituelle. Lors d’une conférence de presse de présentation, le Dr Christian Castagnola (Clinique Lespérance, Mougins) a rappelé quels étaient les bénéfices et les risques sanitaires associés à la pratique de la circoncision.
D’après l’urologue, la plupart des sociétés savantes s’accordent sur le fait qu’il n’y a aucun fondement médical à la circoncision en dehors des pathologies du prépuce (phimosis, paraphimosis). Son intérêt en termes de prévention des infections sexuellement transmissibles comme le sida n’est pas démontré en dehors des zones de pandémie. Pas d’avantages non plus, en termes d’hygiène ou de prévention du cancer de la verge.
En revanche, le taux de complications lorsque la circoncision est pratiquée dans un établissement de soins est d’environ 0,4 à 2% (complications hémorragiques, sténoses du méat, nécroses cutanées allant parfois jusqu’à l’ablation du gland, infections…). Ce taux est beaucoup plus élevé, mais difficilement chiffrable, lorsque la circoncision n’est pas pratiquée dans un centre de soins. AL
Référence
1. Castagnola C, Grapin-Dagorno C, Le Coz P, « Ethique professionnelle et circoncision rituelle », table ronde du congrès de l’AFU, Paris, 23 nov 2012.
Source : Medscape