Mona Eltahawy est une journaliste et une militante féministe égypto-américaine. En 2011, elle se fait violemment agresser place Tahrir alors qu’elle couvre les événements de la révolution égyptienne. À l’occasion de la sortie de son premier livre, Foulards et hymens – Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle, elle a accordé un entretien à Paris Match dans lequel une de ses réponses a attiré notre attention.
À la question : « Dans votre livre, vous abordez aussi la question des mutilations génitales féminines (MGF) En Egypte, plus de 99 % des femmes sont excisées. Premièrement, pourquoi rejetez-vous le terme “circoncision” ? », Mona Eltahawy répond :
« La circoncision masculine est l’ablation du prépuce, ce qui n’a pas d’impact majeur sur leur capacité à éprouver du plaisir pendant l’acte sexuel. Je suis contre toute forme d’ablation non-nécessaire, y compris la circoncision masculine. Toutefois, il s’agit d’une procédure chirurgicale moins drastique que la circoncision féminine (l’ablation du clitoris, Ndlr), qui les traumatise physiquement et émotionnellement. En outre, la circoncision masculine est justifiée par des motifs hygiéniques, tandis que le but des mutilations génitales féminines est de contrôler la sexualité des femmes. Aussi, utiliser le terme de circoncision amoindrit la souffrance des filles et des femmes qu’elle deviendront. »
Droit au Corps a décidé d’adresser une lettre ouverte à Mona Eltahawy pour tenter de pousser un peu plus loin la réflexion sur l’égalité des sexes.
Mona Eltahawy en 2011 – Photo : personaldemocracy
Lettre ouverte de Droit au Corps à Mona Eltahawy
Chère Madame Eltahawy,
C’est avec grand intérêt que nous avons pris connaissance de l’entretien que vous avez accordé à Paris Match en juin dernier.
En ce qui concerne la question des mutilations sexuelles, nous tenons à saluer votre position, qui rejette « toute forme d’ablation non-nécessaire, y compris la circoncision masculine. »
Vos propos sont en effet égalitaires et vous bravez le politiquement correct qui règne en matière de comparaison entre mutilations sexuelles féminines et masculines. Ceci est admirable et courageux, particulièrement pour quelqu’un issu d’une culture où la circoncision est la norme.
Toutefois, nous aimerions attirer l’attention sur plusieurs points qui ont retenu notre attention.
C’est seulement dans les années 1990 que l’OMS a adopté le terme de “mutilation génitale féminine” pour remplacer le terme de “circoncision féminine”. La circoncision masculine, bien que répondant également à la définition de mutilation sexuelle, n’a pas eu droit au même traitement pour des raisons politiques.
Toute atteinte au sexe féminin est qualifiée de mutilation sexuelle féminine (excepté à des fins thérapeutiques). Cela recouvre un champ très large de procédures aux degrés de gravité différents, de la piqûre sur le prépuce clitoridien jusqu’à l’infibulation, et toutes sont condamnées par la communauté internationale. A contrario, la circoncision masculine est tolérée, bien que l’ablation du prépuce soit plus drastique que certaines formes de mutilations sexuelles féminines, comme l’explique la militante anti excision Ayaan Hirsi Ali dans cette vidéo.
Ainsi, lorsque vous dites que « le terme de circoncision amoindrit la souffrance des filles et des femmes qu’elle deviendront », sachez que beaucoup d’hommes circoncis estiment également que le terme de “circoncision” est un euphémisme pour qualifier leur état.
Pour autant, l’inverse est vrai aussi : le mot “mutilation” est considéré par beaucoup de femmes concernées comme un affront verbal de type colonialiste. Elles ne se sentent pas mutilées, bien qu’elles le soient objectivement. La même chose est valable pour de nombreux hommes.
Ce que les individus partagent, quel que soit leur sexe, c’est une douleur immédiate et, pour certains d’entre eux, toutes sortes de souffrances à long terme, d’ordre physique, psychologique ou sexuel.
En ce qui concerne les motifs avancés pour justifier ces mutilations, il faut savoir que la circoncision masculine, bien qu’on en ait oublié l’origine, vise bien le contrôle de la sexualité, que ce soit dans le Judaïsme, l’Islam ou plus récemment dans les pays anglo-saxons. In fine, toute modification sexuelle imposée vise à normer l’individu, autant sur les plans physique que social et comportemental.
Pour ce qui est de la sexualité, plusieurs études et de nombreux témoignages montrent que la circoncision a bien un impact, parfois important, pour une partie non négligeable d’hommes concernés, que ce soit en terme de plaisir ou de confort. En effet, le prépuce est un tissu hautement érogène qui protège le gland et joue un rôle mécanique et sensoriel durant la stimulation sexuelle.
Quant aux justifications hygiéniques de la circoncision, comme vous le savez peut-être, il s’agit de croyances infondées ou de prétextes fallacieux. Une hygiène normale est suffisante pour assurer la propreté du sexe, quel qu’il soit : nul besoin de recourir à une ablation de tissu sain.
Pour conclure, ne pensez-vous pas qu’il serait temps d’adopter une approche universaliste des mutilations sexuelles et de protéger tous les enfants de manière égale, quel que soit leur genre ? Les femmes, les hommes et les intersexes ne se libéreront qu’ensemble.
Amicalement,
Droit au Corps
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