Invitée à une circoncision rituelle, elle en ressort bouleversée

Invitée par des proches à une brit milah (circoncision juive) selon la technique ultra-orthodoxe metzitzah b’peh, Ninna (le prénom a été changé) a été extrêmement choquée et durablement affectée par la brutalité du geste, auquel elle n’était pas du tout préparée. Depuis, elle n’a de cesse d’informer et de sensibiliser ses proches et ses connaissances à propos de ce qu’elle considère comme une mutilation.

Image d’illustration

Témoignage

En France en 2018, je me suis trouvée brutalement plongée dans un univers insoupçonné, celui de la puissance des rites, celui du mépris de l’enfant au nom d’un bien supérieur, ou supposé tel, pour le faire entrer dans une communauté (ou ne pas l’en exclure).

J’ai été invitée, par une jeune femme qui m’est proche, à la circoncision du petit garçon qu’elle attendait. Cette invitation m’a été faite 15 jours avant la date prévue pour le terme, sachant que je serais proche géographiquement au moment de la naissance. La famille de cette jeune femme est en partie juive (côté maternel). Son père, décédé, était athée, mais, d’origine africaine, a été circoncis enfant et a fait circoncire son fils, le frère de la jeune maman. Elle-même, mise à part sa présence lors de la célébration des grandes fêtes juives qui se tiennent chez son oncle maternel, ne pratique aucun des rites juifs, ne tient pas compte des impératifs alimentaires et ne fréquente pas la synagogue parce que les femmes y sont considérées « différentes et inférieures ».

Avec un tel tableau, je me suis trouvée confortée dans mon idée naïve que la circoncision était une sorte de baptême chrétien avec pour seule différence que l’on faisait perler un peu de sang sur le pénis de l’enfant en rappel de l’Alliance de Dieu avec Abraham (voir la Bible, Genèse). Cela me déplaisait assez, mais avec la même naïveté ou la même volonté d’aveuglement que j’ai constatées chez beaucoup de personnes à qui j’ai raconté cet événement, j’ai supposé qu’une jeune femme affichant une telle liberté se ralliait sans aucun doute aux pratiques actuelles de beaucoup de juifs, qui remplacent la circoncision par un simple accueil liturgique en paroles, sans agression aucune des enfants, garçons ET filles. Bref, je n’ai pas approfondi ni questionné la mère ou le père du bébé. J’étais présente le jour fixé et ai même aidé à l’organisation de la fête (car c’était une fête où chacun des invités, réjouis – mais graves je dois le reconnaître – apportait des victuailles pour le repas qui devait suivre la cérémonie). Pour moi, toujours dans mon idée de baptême, je m’étais chargée des fleurs ; j’étais un peu étonnée d’ailleurs d’être la seule à fleurir l’appartement du jeune couple où se déroulait la circoncision.

C’était le 8e jour après la naissance du petit garçon, selon la prescription qu’on trouve dans la Bible, dans le récit de l’Alliance de Dieu avec Abraham. Pourquoi d’ailleurs dans la Genèse trouve-t-on, à quelques versets de distance, l’alliance de Dieu avec Abraham racontée une 1ère fois sans demande de circoncision par Dieu (chapitre 15) et une autre fois (chapitre 17) la même alliance conclue avec une espèce de chantage : Dieu fait alliance avec Abraham à condition que celui-ci lui sacrifie son prépuce et celui de ses descendants… C’était donc dans l’appartement des jeunes parents (ce qui me paraissait aussi rassurant) ; les demi-soeurs (par leur père, 9 et 15 ans) du nouveau-né étaient présentes, ayant été dispensées de classe pour l’occasion – autre élément qui aurait pu déjouer une éventuelle défiance.

J’ai commencé à m’inquiéter cependant quand j’ai vu le « mohel » (circonciseur) installer son matériel sur une petite table à côté du fauteuil d’Elie sur lequel trône le parrain de circoncision chargé de maintenir le nouveau-né pendant le supplice qui lui est infligé. Un flacon de désinfectant, beaucoup de gaze, des verres contenant des liquides, des ciseaux, pinces, des linges, c’est ce que j’ai aperçu, bref un ensemble qui évoquait un acte chirurgical.

L’assemblée était nombreuse mais j’ai pu voir la mutilation, le prépuce du bébé coupé et arraché, ce petit corps arqué par la douleur, hurlant son désespoir d’être abandonné par sa mère, son père, sa famille proche, tous ceux qui sont censés le protéger et qui détournaient le regard. J’étais tétanisée, mes larmes coulaient en silence, sans sanglot, comme je ne me souviens pas avoir jamais pleuré. Je me suis longtemps culpabilisée de ne pas être intervenue pour arrêter tout cela, de ne pas avoir crié mon indignation… Je me sens toujours coupable et c’est pour cela que je veux m’engager contre cette ignominie.

Pas d’anesthésie. Le bébé, endormi dans sa belle longue robe blanche, est installé sur les genoux de son parrain de circoncision. Le mohel le manipule pour trouver la meilleure position, relève sa robe, lui enlève ses couches, place les mains du parrain sur les cuisses du nouveau-né pour l’immobiliser, commence à tripoter son minuscule pénis pour essayer de dégager le prépuce. Le petit garçon commence à pleurer. Normal : chez le nouveau-né le prépuce et le gland sont collés et la manipulation est déjà douloureuse. Le bébé, à partir de ce moment jusqu’à l’acte final de la coupure qui mutile définitivement son sexe, a pour seule ressource de téter désespérément un doigt trempé dans de l’eau sucrée, puis une gaze siphonnant la même eau sucrée vers la bouche de l’enfant, puis une autre gaze trempée dans un autre récipient où devait être ajouté un peu d’alcool (à ce que j’ai pu déduire des « plaisanteries » de certains invités – et ce qui m’a été confirmé lors des recherches que j’ai faites sur le déroulement de la circoncision).

Une hygiène plus que douteuse : un acte chirurgical fait sans respect des règles de l’art (champ opératoire, gants, désinfection réelle et efficace…), les mains du mohel allant de la gaze mise et remise dans la bouche de l’enfant aux instruments « chirurgicaux », de ces instruments au sexe de l’enfant. Pas de gants stériles, etc.

Des chants et prières (en hébreu), assez beaux d’ailleurs, avant de bander la plaie. Et clou de la cérémonie : le mohel suçant le pénis ensanglanté du nouveau-né après s’être rincé « quand même » la bouche avec de l’alcool. Cela s’appelle la « metzitzah » [1] et j’ai su plus tard que certains bébés avaient contracté des herpès génitaux avec ce rite. Dans d’autres circonstances ce même acte serait considéré comme pédophile.

Je ne suis pas très sûre de l’ordre des actions de cette fin de cérémonie, il me semble que l’enfant est soulevé en espèce d’offrande au moment des chants et prières pendant qu’il continue à pleurer. La cérémonie s’est terminée avec des chants accompagnant le partage d’une coupe de vin entre les seuls invités mâles.

J’ai été très inquiète pour la santé du bébé pendant le mois qui a suivi. Par chance, la plaie s’est cicatrisée sans infection et sans signe des atteintes périphériques qui peuvent survenir. C’est maintenant un beau petit garçon, plein de vie et de malice. Mais la plage et la piscine révèlent souvent l’anatomie des bébés et ce sexe qui témoigne de la mutilation subie me fait interroger sur sa sexualité future : sera-t-elle perturbée, comme la parole, libérée aussi sur ce sujet jusqu’ici très tabou, d’hommes circoncis nous le révèle ?

Comment en est-on arrivé là ? Ce petit garçon est né de parents vivant en union libre. Sa mère juive (mère juive, père non juif) et non pratiquante est, apparemment, une femme « libérée ». Son père de religion catholique non pratiquant est de ma famille très proche. Il était au bord de l’évanouissement au moment de la mutilation de son fils. Quand il a vu mon bouleversement devant ce que je qualifiais entre deux crises de larmes de mutilation irréversible, il m’a dit que sa compagne avait subi des pressions de sa famille maternelle. Cet enfant était le 1er mâle de sa génération et il était important de célébrer son entrée dans la communauté juive. Quant à lui, il avait fini par accepter la brit milah :
– par respect pour la religion de sa belle-famille et parce que le rapprochement des religions demandait aux catholiques (par la voix du pape) de respecter les rites des autres religions ;
– par amour pour sa compagne et aussi dans l’ignorance, partielle, de la gravité de la mutilation qu’allait subir son fils.

À la suite de cette journée terrible, j’ai essayé de trouver ce que je pouvais faire face à ce gouffre que j’entrevoyais : ce petit garçon n’était certainement pas le seul à être victime de cette ignominie. Malgré la hâte qui me poussait à agir, j’ai pris le temps de me documenter le plus possible sur le judaïsme que je connaissais mal, et sur la circoncision en général. Aucun des documents en sa faveur n’a réussi à ébranler ma certitude que c’était un rite barbare indigne d’une société civilisée, et d’autant plus au XXIe siècle où l’on reconnaît enfin la réalité de la douleur de l’enfant, y compris nouveau-né. Douleur dont j’ai été témoin direct, douleur de ce corps sans défense venu au monde quelques jours plus tôt, douleur d’un corps supplicié. Mes recherches par Internet m’ont conduite vers des interventions de tout genre sur YouTube, mais surtout vers le livre de Sami Aldeeb, ouvrage dense, documenté, abordant tous les aspects de la circoncision. Avec lui et d’autres qui militent contre ces pratiques d’un autre âge, j’ai découvert avec horreur que des millions d’enfants subissent ces mutilations pour des raisons diverses, que des milliers en meurent. Y compris dans nos sociétés occidentales dites civilisées, au nom de religions qui maintiennent leurs fidèles dans des traditions barbares sous couvert du respect des textes sacrés, et par crainte de Dieu. Et, afin de berner le plus de monde possible, on invente des raisons hygiénistes qui servent de prétexte et de justification pour perpétuer ces « traditions ». Ce que Sami Aldeeb résume bien aussi, dans une vidéo.

Nous sommes tellement ignorants de ces pratiques que c’est dans la plus parfaite indifférence que se perpétuent ces atteintes criminelles contre des enfants innocents, nouveau-nés ou enfants plus âgés, au gré des folies d’adultes obscurantistes. Le livre de Sami Aldeeb sur la circoncision masculine et féminine porte en sous-titre « Le complot du silence ». J’ai été effectivement frappée – en parlant autour de moi de ce que j’avais vu et vécu – par les réactions de mes amis, famille, des professionnels de santé psychiatres, psychologues, infirmiers, aide-soignants, médecins généralistes, etc. Pour ceux qui me croyaient, c’était la stupeur avec manifestement le désir de se réfugier dans le déni : comment des gens que l’on connaît, qui sont cultivés, peuvent-ils croire que Dieu exige de mutiler le sexe d’un nouveau-né en signe d’alliance ? Ceux qui connaissaient la circoncision savaient qu’elle ne se pratiquait plus désormais dans les maternités françaises ou croyaient qu’elle était réduite à une simple goutte de sang et que la metzitzah était interdite en France. Pour beaucoup, c’était l’incrédulité, la gêne évidente et le désir affiché de changer de sujet, du genre : « c’est peut-être vrai mais que peut-on y faire, de toutes manières pour l’enfant que tu connais, c’est trop tard ; derrière cette famille tu vas t’attaquer à des gens puissants qui vont t’accuser d’antisémitisme. » Et c’est vrai que sous la violence du choc subi, j’ai senti monter en moi des bouffées de haine contre des religieux qui abusent de leur pouvoir pour convaincre des familles de marquer dans leur chair des enfants sans défense. Comment, dans nos pays de liberté où la règle est de respecter les religions, comment dans ma famille où l’on enseigne aux enfants la tolérance, peut-on être aussi aveugle et ignorer ou feindre d’ignorer la souffrance de ces enfants sacrifiés au nom de tous les arguments, supposés les plus sérieux théologiquement comme les plus farfelus et avancés par des pseudo-scientifiques ?

Voilà, quand je me suis sentie prête, j’ai contacté en mai 2019 par courriel Sami Aldeeb qui m’a donné les coordonnées de votre association que j’avais déjà repérée, mais je voulais m’assurer de la fiabilité et de la sagacité des personnes à qui je confierais mon expérience et mes tourments. Mon intention n’est pas de nuire à tous ces gens dont certains sont de bonne foi mais entraînés par le poids de pulsions inconscientes en fidélité à leur famille vivante ou défunte. Si, à la suite de mes échanges avec Sami Aldeeb, j’ai immédiatement signé votre appel à un débat public sur la circoncision, j’ai attendu la fin de l’été pour prendre contact avec vous. Je voulais d’abord rencontrer les parents du bébé dont je viens de vous raconter la circoncision, leur redire mon émotion et mes interrogations et les avertir de ma signature de l’appel au débat public lancé par Droit au Corps. Je les ai informés aussi de mon intention de rejoindre votre action. La réaction du père a été très positive, réaffirmant que fondamentalement il réprouvait cette pratique « d’un autre âge », il m’a simplement mise en garde contre les dangers de certaines associations farfelues ou fanatiques. La mère de l’enfant a pleuré, disant que je pensais qu’elle était une mauvaise mère ayant fait courir un grave danger à son bébé. Je ne doute pas qu’elle soit une bonne mère, je l’ai constaté souvent et je le lui ai dit – mais pour le danger couru par l’enfant et sur sa souffrance je ne pouvais le nier. C’est une jeune femme intelligente. Nos relations ne sont pas altérées depuis cette discussion, contrairement à ce que je craignais, et j’espère qu’elle va cheminer à son rythme pour percevoir quelle part d’obscurantisme a pu la conduire à perpétuer un rite barbare par fidélité à ses origines.

Par ailleurs, depuis mai 2019, je transmets dans mon entourage (famille, amis, et autres connaissances que j’avais déjà sensibilisées depuis un an par le récit de mon expérience traumatisante) les interviews s’élevant contre la circoncision, les travaux sur le sujet. De même pour le fondement et les objectifs de Droit au Corps et ceux de vos articles qui vont dans le sens d’une prise de conscience progressive de ce qui est soigneusement tu ou travesti. Dans l’ensemble j’ai recueilli un accueil favorable et jamais d’hostilité franche. Je constate que d’autres après moi prennent peu à peu conscience de cette mutilation qu’est la circoncision. J’ignore si cette prise de conscience les mènera plus loin. Le Net, malgré tous ses défauts, est notre chance, j’ose le penser. Il m’a permis en tout cas de découvrir des moyens d’agir pour calmer un peu cette douloureuse pensée que chaque jour des milliers d’enfants subissent cette pratique.

Ninna

Note de Droit au Corps : liens insérés dans le texte par nous.

Question de Droit au Corps : vous utilisez le mot « barbare » qui peut être choquant pour les personnes qui pratiquent la circoncision, qu’en dites-vous ?

Ninna : Je suis d’accord pour la suppression du terme « barbare » s’il vous semble trop polémique. Je l’ai utilisé parce que j’ai vécu ce geste comme une barbarie. Après la circoncision, je me suis trouvée dans la cuisine du jeune couple avec 3 autres invitées apparemment aussi choquées que moi, dont l’une, une dame d’un certain âge, ne cessait de répéter : « Ce sont des barbares, ce sont des barbares… » Une autre, la marraine de l’enfant, non juive et choisie comme marraine sans aucun lien religieux, m’a dit : « ils sont dans leur monde, on ne peut rien faire, et pas les raisonner. » La dernière, une très jeune femme, amie de la mère du bébé, semblait complètement abasourdie.

Au mois d’août dernier, quand j’ai parlé avec le père du bébé, il m’a parlé de « rites d’un autre âge », ça j’en suis certaine ; il m’a semblé aussi qu’il a prononcé le mot « barbarie » mais n’en étant pas certaine je ne l’ai pas signalé dans mon témoignage. Je pense que ce dernier exprime assez, par ailleurs, une condamnation de la circoncision pour ne pas ajouter le terme de « barbare ». Donc je souscris tout à fait à la suppression de ce mot en accord avec votre approche respectueuse des personnes. La compassion pour l’enfant circoncis n’exclut pas le respect pour ceux que j’ai d’abord jugé comme des barbares avant de réaliser qu’ils étaient la plupart du temps victimes d’aveuglement et de pulsions souvent inconscientes.

Note de Droit au Corps : au vu de cette réponse qui apporte un éclaircissement sur l’utilisation du mot « barbare », nous avons décidé de ne pas modifier le témoignage. Pour rappel, Droit au Corps vise non seulement la fin des souffrances découlant des mutilations sexuelles, mais se préoccupe également de celles que pourraient éprouver les individus se sentant menacés dans leurs traditions ou contraints de les perpétuer (voir notre vision).

1. Commentaire de Droit au Corps

Depuis une loi de 1889, cette pratique est interdite en France, une loi jamais respectée.

CHEBEL, Malek, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Paris, Editions Balland, 1992, p.44

« C’est alors qu’a lieu l’aspiration rituelle du sang du prépuce (la méziza ou metsisa). Le péritomiste (ou orlatomiste) aspire le sang afin de remplir l’une des conditions de l’Alliance, l’Alliance par le sang préputial. Les observateurs assurent que cette coutume, qui a suscité tant de polémiques, est attesté dans la Michna, mais, en France, la controverse était telle qu’il a fallu l’interdire en 1889, interdiction qui n’a jamais été prise en compte. »