En 2011, des chercheurs danois publient une étude portant sur les conséquences de la circoncision sur la sexualité de l’homme et de sa partenaire.
Le docteur Morten Frisch, responsable de l’étude, a été interviewé l’année suivante par James Loewen. Dans une vidéo de 8 minutes, le chercheur parle des résultats de l’étude et explique les difficultés rencontrées pour en obtenir la publication en raison des pressions exercées.
Voici la vidéo de l’interview sous-titrée en français :
Compléments :
- étude de Frisch et ses collègues (article complet disponible dans la marge de droite) ;
- réponse de Brian Morris et ses collègues ;
- réponse de Frisch à Morris.
Mieux comprendre :
TRANSCRIPTION DE L’INTERVIEW
Bonjour, je suis Morten Frisch, docteur à Copenhague, au Danemark.
J’ai conduit une étude sur les conséquences sexuelles de la circoncision masculine chez les hommes danois et leurs partenaires. Ce qui m’a incité à faire cela était le manque de preuves scientifiques sur les liens entre comportement sexuel, satisfaction sexuelle, fonctionnement sexuel et le fait que le pénis ait ou pas un prépuce. J’ai trouvé cela surprenant étant donné l’idée naturelle que cela puisse affecter le fonctionnement sexuel.
Après avoir réfléchi un moment à la manière de mener l’étude, j’ai contacté des collègues de Copenhague, qui mènent une enquête tous les quatre ou cinq ans, et je leur ai demandé de bien vouloir ajouter des questions à propos du statut de circoncision, pour les hommes eux-mêmes, mais aussi pour les femmes à propos de leur conjoint. Ils ont accepté et ils ont aussi ajouté un certain nombre de questions concernant les comportements et les problèmes sexuels de différents types.
James Loewen : À quelles conclusions votre étude est-elle arrivée ?
Il est important de souligner que la plupart des hommes circoncis et la plupart des femmes ayant un conjoint circoncis ne rencontrent pas de troubles sexuels majeurs. Je tiens à souligner cela pour éviter toute stigmatisation. Mais cela étant dit, il est important de noter qu’il y avait bien des différences entre les hommes circoncis et les hommes non circoncis.
Les hommes circoncis rapportaient des difficultés à atteindre l’orgasme bien plus fréquemment que les hommes non circoncis. Plus frappant encore et probablement plus surprenant aussi pour la plupart des gens, les femmes avec des conjoints circoncis rapportaient considérablement plus de problèmes sexuels et considérablement moins de satisfaction à leurs besoins sexuels que les femmes avec des conjoints non circoncis. Les femmes comme les hommes rapportaient des difficultés à atteindre l’orgasme, voire de l’impossibilité à l’atteindre, deux fois et demi plus souvent que les femmes avec des conjoints non circoncis et rapportaient des rapports sexuels douloureux bien plus souvent que les femmes avec des conjoints non circoncis.
Un aspect très particulier de cette étude est qu’il a fallu mener une lutte considérable pour pouvoir la publier. Avant cette étude, moi et mes collègues avions publié trois articles sur différents aspects des dysfonctionnements et troubles sexuels au Danemark, en examinant les liens entre statut socio-économique et dysfonctionnement sexuel, entre santé et dysfonctionnement sexuel ainsi qu’entre mode de vie et dysfonctionnement sexuel, et tous ces articles n’eurent absolument aucune difficulté à voir le jour. Ils furent publiés dans les deux journaux de médecine sexuelle les plus importants ainsi que dans des journaux américains.
Mais ce quatrième article qui ajoute une variable supplémentaire, à savoir la circoncision, a rencontré plus de difficultés que l’on puisse imaginer. Je m’y attendais, mais je n’aurais jamais prévu que les critiques soient si violentes. La manière dont cet article a été jugé et critiqué était absolument sans précédent pour moi. Jamais je n’avais reçu de critiques scientifiques si vicieuses et indécentes, nous accusant de racisme, de malhonnêteté et de toutes sortes de choses afin que les éditeurs rejettent l’article. C’était une forme d’obstruction, simplement pour éviter que cet article ne sorte.
D’habitude, dans la procédure de critique scientifique, on reçoit des réponses de la part de collègues du monde entier qui sont qualifiés en la matière et on obtient généralement des commentaires de quelques centaines de mots, des critiques constructives qui rendent votre étude meilleure et votre publication d’autant plus forte. Mais dans mon cas, ces critiques ont été totalement excessives. Il faut se rappeler que cet article s’articulait autour de 15 pages dans un journal scientifique, ce qui est plutôt ennuyeux, long et lourd à parcourir, donc je ne veux pas que quelqu’un le lise à moins d’être vraiment intéressé. Pourtant, lors de la première série de critiques, un si grand nombre de commentaires ont été émis que la réponse était deux fois et demi plus longue que l’article, ce qui est totalement inhabituel. Cela montre une disposition vraiment émotionnelle [et non rationnelle] de la part des critiques. Donc on voulait empêcher la publication de notre étude et tous les arguments imaginables ont été utilisés pour que notre étude soit mise de côté alors que les mêmes données avaient été utilisées pour trois publications précédentes sans que cela ne suscite de commentaire particulier. Mais ajouter la circoncision à la liste des critères a fait toute la différence et tout était désormais sans valeur selon ces critiques.
Donc cela montre à quel point certains sujets peuvent être sensibles dans le domaine scientifique. C’est toujours quelque chose qui me surprend, quand je vois combien certains portent des œillères tout en prétendant avoir un regard scientifique sur les choses alors qu’ils ne font que promouvoir leur projet politique.
La santé sexuelle et les difficultés sexuelles sont l’un de mes intérêts de recherche et je veux vraiment poursuivre les recherches dans ce domaine, mais il y un obstacle majeur qui est celui d’obtenir des financements, car dans ce domaines ils sont très limités. Je n’ai pas eu beaucoup de mal à trouver des financements pour mes études sur le cancer ou sur les maladies auto-immunes au fil des ans, mais obtenir des fonds pour financer des études sur le thème de la santé sexuelle est extrêmement difficile, même dans un pays comme le mien, qui est relativement à l’aise en matière de sexualité. Ce n’est pas facile de convaincre un organisme de financement que ce genre d’étude a de l’intérêt. J’aimerais donc avoir des doctorants pour mener des recherches supplémentaires sur ce sujet et les superviser.
Le temps dont je dispose ne me permet pas d’être aussi productif dans ce domaine que je le voudrais. Oui, je vais continuer, mais à un rythme qui soit techniquement et économiquement possible, parce que toutes les études que j’ai menées jusqu’à présent sur ce sujet n’ont pas reçu de financement, c’est une sorte de projet moral.
Pourquoi cela est-il si important ? Je ne saurais pas dire… C’est important parce que la sexualité humaine est une partie essentielle de nos vies.
Traduction et sous-titrage : Droit au Corps.