Il y a une dizaine de jours, Jérôme Segal publiait une tribune dans le journal Libération, intitulée “Etre juif et s’opposer à la circoncision”. Hier, un doctorant nommé Mathias Alcalaï lui a répondu en publiant à son tour une tribune (accessible seulement sur le site du journal), intitulée “la circoncision n’est pas l’excision”. Dans ce texte il défend la pratique de la circoncision infantile. À la vue des arguments avancés, Droit au Corps a décidé de réagir.
Et si on pensait d’abord aux droits de l’enfant ?
Dans sa réponse, M. Alcalaï n’accepte pas que la circoncision soit avant tout un problème touchant aux droits de l’enfant. Personne ne s’oppose à ce qu’un adulte apte à fournir un consentement libre et éclairé se fasse circoncire s’il le souhaite, mais un enfant ne peut évidemment pas consentir et en cela, personne n’a le droit de porter atteinte à son corps sans raison thérapeutique. Rappelons que la circoncision est irréversible.
Quelques rappels pourraient être utiles à M. Alcalaï, qui se permet de prendre de haut M. Segal (affublant son statut de guillemets).
Article 16-3 du Code civil :
« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
Article 41 du Code de déontologie médicale :
« Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement. »
Si M. Segal aborde brièvement l’excision dans sa tribune, c’est en partant du constat suivant : le fait que la circoncision soit moins grave que l’excision sur le plan physique ne signifie pas qu’il ne s’agisse pas également d’une violation de l’intégrité physique de l’enfant. D’ailleurs, ces dernières années, de nombreuses institutions (médicales et autres) ont pris position contre la circoncision non thérapeutique imposée aux enfants (liste non exhaustive). Par ailleurs, les femmes aussi possèdent un prépuce (également appelé capuchon du clitoris). Certaines formes de mutilations sexuelles féminines ne visent que cette partie de la vulve. L’auteur s’oppose-t-il à cette mutilation plus légère ou la condamne-t-il ? Et tous les enfants n’ont-ils pas le même droit à l’intégrité physique, quel que soit leur sexe ?
M. Segal évoquait le prépuce dans sa tribune, mais comme bien des partisans de la circoncision, M. Alcalaï ne semble pas savoir ce qu’est réellement le prépuce. Le prépuce est une partie saine et fonctionnelle du sexe masculin. Il est composé d’une muqueuse sur sa face interne et contient plusieurs milliers de terminaisons nerveuses. Une étude publiée en 2007 indique que le prépuce est la partie la plus sensible du pénis.
M. Alcalaï répond à M. Segal que « les circoncis ne sont point démunis de plaisir sexuel. » Cela est vrai et personne n’a affirmé le contraire. Néanmoins, de nombreuses études et témoignages indiquent que la circoncision peut avoir une incidence négative sur la sexualité de l’homme circoncis, mais également sur celle de sa partenaire sexuelle. Les références scientifiques sont disponibles dans cet article. Voir notamment l’étude du Docteur Frisch, publiée en 2011 (interview vidéo).
Monsieur Alcalaï estime que la circoncision est « inoffensive », ce qui est totalement erroné. Comme toute opération chirurgicale, la circoncision comporte un risque de complication même lorsqu’elle est réalisée dans des conditions optimales. Le Docteur Castagnola, Vice-Président de l’AFU (Association Française d’Urologie), Responsable du Comité d’Éthique et de Déontologie de l’AFU, indiquait dans un éditorial publié sur le site de l’AFU en début d’année : « Faut-il rappeler que la circoncision n’est pas un geste anodin et que lorsqu‘elle est pratiquée dans un établissement de soin, le taux de complication est de 0,4 à 2 %. » Et n’oublions pas la liste des complications possibles, avec références.
Imposer la circoncision à un enfant parce que cela rendrait le pénis plus hygiénique est grotesque. La circoncision crée des risques immédiats pour la santé et nécessite des soins pour que la blessure puisse guérir. À ce sujet, le docteur George Denniston, fondateur de Doctors Opposing Circumcision, a déclaré : “La perception que le prépuce est non hygiénique est un mythe. Le prépuce protège contre les maladies ; il n’en cause pas. Si le prépuce n’est pas hygiénique, alors les paupières devraient être considérées comme non hygiéniques.” Pour rester propre, il suffit d’utiliser de l’eau et du savon, et non pas couper. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les partisans des mutilations sexuelles féminines avancent également le même motif hygiéniste pour justifier leur pratique.
Les parents n’ont pas le droit de modifier ou faire modifier le corps de leur enfant sans raison thérapeutique avérée. La comparaison avec l’habillement, les idées ou la langue est absolument ridicule et hors de propos. Concernant le percement des oreilles, il s’agit également d’une atteinte (bien plus légère, certes, mais d’une atteinte tout de même) qui était d’ailleurs soulevée par la résolution de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe en 2013, qui portait justement sur les droits de l’enfant à l’intégrité physique.
Filles, garçons, intersexes : tous les enfants ont le même droit à l’intégrité physique. Par conséquent, ils doivent être protégés contre toute forme de pratique mutilante. Ils pourront plus tard décider de ce qu’ils veulent faire de leur propre corps. Le texte de M. Alcalaï est tout simplement honteux, manquant du respect le plus élémentaire que l’on doit aux victimes des nombreuses complications, tant physiques que psychiques, qui résultent des mutilations sexuelles.
Nicolas Maubert, assisté de l’équipe Droit au Corps
Image d’illustration utilisée en couverture.