Sommaire :
1. Lettre ouverte à l’attention du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique
2. Commentaire de Droit au Corps sur l’Avis rendu par le Comité
Lettre ouverte à l’attention du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique
Le 16 septembre 2017
Lettre ouverte à l’attention du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique, [1]
Copie (liste détaillée) :
– comités d’éthique francophones
– défenseurs institutionnels de l’intérêt et des droits de l’enfant dans la francophonie
Objet : éthique et circoncision
Dans le cadre de votre réflexion relative « aux aspects éthiques de la circoncision non médicale chez le garçon mineur » (Commission restreinte « Circoncision » CR 2015-1), nous pensons utile de vous partager le point de vue de Droit au Corps, association de référence dans la francophonie sur le sujet de la circoncision :
1. Au plan éthique, notre association donne statutairement « la priorité à l’allègement de la souffrance » et « vise la fin de toutes les souffrances physiques et psychologiques liées aux mutilations sexuelles, tout particulièrement celles infligées aux enfants ». À ce titre, Droit au Corps fait partie de l’Alliance Algosphère.
2. Le point de départ de notre réflexion éthique est que « la circoncision peut engendrer des souffrances lourdes, pour la vie entière, même si toute circoncision n’entraîne pas forcément de souffrance. » Nous n’avons pas connaissance d’objections sérieuses à ce constat factuel, mais encore trop peu connu.
3. Notre vision est la voie de la compassion : « En cohérence avec sa priorité éthique, Droit au Corps vise non seulement la fin des souffrances découlant des mutilations sexuelles, mais se préoccupe également de celles que pourraient éprouver les individus se sentant menacés dans leurs traditions ou contraints de les perpétuer. Droit au Corps souhaite que toutes les parties concernées par les mutilations sexuelles progressent, ensemble, vers cette fin. »
4. Il est important de noter que notre « association n’est aucunement opposée à la circoncision, dès lors que l’individu concerné est apte à donner un consentement libre et éclairé. » Cette position est valable y compris pour la circoncision d’origine religieuse.
5. Notre recommandation principale est « l’ouverture d’un débat public sur “les conditions du consentement à la circoncision” qui permette de dégager un consensus entre toutes les parties, point d’équilibre susceptible d’alléger un maximum de souffrances. » En effet, constatant qu’il existe des souplesses théologiques ou culturelles quant à l’âge de la circoncision – point de vue que nous détaillerions volontiers à l’occasion d’échanges plus approfondis – , une discussion constructive nous paraît possible afin de rechercher ce point d’équilibre qui ménagerait les intérêts de toutes les parties. Il nous semble envisageable que toutes s’accordent à reconnaître :
a. grâce à un effort d’information, le risque de souffrances découlant d’une circoncision non consentie ou faisant l’objet d’un consentement insuffisamment « libre et éclairé » ;
b. que des souplesses théologiques ou culturelles peuvent être trouvées afin que la circoncision ne puisse être pratiquée qu’à un âge où un individu est devenu apte à consentir. Le développement de rituels alternatifs à la circoncision comme Brit Shalom est une illustration des souplesses envisageables.
6. Pour un tel débat public, afin de donner la parole aux mineurs qui en sont privés, nous suggérons que soient conviées les organisations en charge de « l’intérêt de l’enfant », souci éthique qui s’est affirmé dans le débat démocratique depuis la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989.
7. Enfin, au cas précis de la circoncision de mineurs non consentants, il nous semble que la revendication fréquemment entendue de « la liberté religieuse » n’est pas un argument soutenable, car il s’agit à l’évidence d’une contradictoire « liberté de contraindre » les êtres les plus vulnérables avec le risque de faire souffrir voire même de tuer (entre 100 et 200 morts par an rien qu’aux États-Unis) : une telle liberté est-elle éthique ? Légale ? N’a-t-elle pas pour limite la liberté d’autrui ?
Bien cordialement,
Note 1 : Avis n° 70 du 8 mai 2017 relatif aux aspects éthiques de la circoncision non médicale
Copie :
Comités d’éthique :
Algérie : Conseil National de l’Éthique des Sciences de la Santé
Bénin :
. Comité National d’Ethique pour la Recherche en Santé
. Comité d’Ethique de l’ISBA
Burkina Faso : Comité national d’éthique pour la recherche en santé
Canada : Canadian Institutes of Health Research
Canada – Québec : Commission de l’éthique de la science et de la technologie
Congo : Comité d’éthique de la recherche en sciences de la santé
Côte d’Ivoire : Comité Consultatif National de Bioéthique de la République de Côte d’Ivoire
France :
. Comité Consultatif National d’Ethique
. Société Française et Francophone d’Ethique Médicale
. Académie des sciences morales et politiques
Gabon : Comité National d’Ethique pour la Recherche
Liban : Comité Consultatif National Libanais d’Ethique pour les Sciences de la Vie et de la Santé
Luxembourg : Commission Consultative Nationale d’Ethique
Madagascar : Comité Malgache d’Ethique pour les Sciences et les Technologies
Mali : Comité national d’éthique pour la santé et les sciences de la vie
Maroc : Comité d’Ethique de l’Université Mohammed V – Souissi
Sénégal : Conseil national de recherche en santé
Suisse :
. Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine
. ASSM – Commission Centrale d’Éthique
Togo : Comité Consultatif National de Bioéthique
Tunisie : Comité National d’Ethique Médicale de Tunisie
Défenseurs de l’intérêt et des droits de l’enfant :
Institutionnels
ONU :
. Le Comité sur les droits de l’enfant
. Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question de la violence à l’encontre des enfants
. Unicef : Algérie, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Canada, Congo, République démocratique du Congo, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Guinée, Liban, Luxembourg, Madagascar, Mali, Maroc, Niger, Sénégal, Suisse, Togo, Tunisie
Belgique : Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant
Canada : Conseil Canadien des Défenseurs des Enfants et des Jeunes (CCDEJ)
Canada – Québec : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
France :
. Geneviève Avenard, Défenseure des enfants
. Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE)
Luxembourg : Ombudscomité pour les droits de l’enfant (ORK)
Suisse :
. Réseau Suisse des Droits de l’Enfant
. Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse (CFEJ)
Autres
Monde :
. Bureau International des Droits des Enfants
. Child Rights International Network (CRIN)
. Plan International
. Amnesty International : France, Belgique, Luxembourg, Suisse, Sénégal
. Défense des Enfants International (DEI) : Belgique, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Canada, Côte d’Ivoire, Congo, France, Guinée, Mauritanie, Maroc, Niger, Israël, Liban, Palestine, Suisse, Togo, Tunisie
Canada – Québec : Centre de Ressources et d’Intervention pour Hommes abusés sexuellement dans leur Enfance (Criphase)
France :
. Conseil Français des Associations pour les Droits de l’Enfant
. Enfance et partage
. Fondation pour l’enfance
. La voix de l’enfant
. Ligue Française des Droits de l’Enfant
Suisse :
. Institut International des Droits de l’Enfant
. Fondation pour la protection de l’enfance Suisse
Commentaire de Droit au Corps sur l’Avis rendu par le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique (CCBB)
Le 16 juillet 2018
L’investigation conduite par le CCBB est richement documentée sur ce sujet complexe qu’est la circoncision. Droit au Corps se félicite de sa conclusion invitant à « réfléchir à surmonter les controverses en encourageant l’évolution des pratiques vers la seule symbolique, de sorte que les rites continuent à se réaliser, mais sans inscription dans la chair de l’enfant. Ainsi, toutes les sensibilités religieuses seraient respectées… », car elle correspond tout à fait à la vision de Droit au Corps qui « vise non seulement la fin des souffrances découlant des mutilations sexuelles, mais se préoccupe également de celles que pourraient éprouver les individus se sentant menacés dans leurs traditions ou contraints de les perpétuer… [qui] souhaite l’ouverture d’un débat public [permettant] de dégager un consensus entre toutes les parties, point d’équilibre susceptible d’alléger un maximum de souffrances. »
Notre commentaire se concentre sur un angle mort du volet éthique de l’Avis. En effet, tout avis suppose un référentiel : quelle est la priorité éthique, la valeur-racine, sur laquelle se fonde l’évaluation ? Du choix de priorité dépendra l’avis. Il est donc particulièrement important que le débat démocratique porte d’abord sur ce préalable. Par le présent commentaire, Droit au Corps souhaite alerter internationalement les acteurs du débat démocratique sur cette faille centrale de tous les débats actuels sur la circoncision, à savoir que le choix de finalité éthique de la collectivité, un préalable à toute discussion, n’est curieusement jamais questionné.
Dans l’histoire de l’humanité, pour des raisons d’évolution darwinienne des cultures et des éthiques, 2 priorités éthiques se sont particulièrement affirmées : soit la reproduction de la vie (au fondement des éthiques dites « pro-vie » ou « biocentrique », avec des comités de « bioéthique » plutôt que simplement « d’éthique »), soit l’allègement de la souffrance (qu’on retrouve typiquement dans les éthiques dites « utilitariste » ou mieux « algoprioritaristes », ou dans le bouddhisme avec la visée du Nirvana). Il ne peut y avoir 2 priorités simultanément et l’histoire de l’humanité reflète le conflit permanent entre idéologie de reproduction et allègement de la souffrance. Des exemples bien connus de ce conflit sont la contraception, l’avortement, la prohibition de la masturbation (à l’origine de la circoncision massive aux États-Unis), l’homophobie, l’assistance au suicide, etc.
Ces 2 priorités ont connu des hauts et des bas au fil des millénaires, mais l’idéologie de reproduction a été l’éthique largement dominante, vue sa forte capacité de réplication darwinienne. En effet, l’idéologie de reproduction se perpétue facilement à travers les millénaires, car elle enseigne aux individus qu’il faut se reproduire, ce qui conduit ces individus d’abord à se reproduire, puis à enseigner à leur tour à leur descendance qu’il faut se reproduire : l’éthique « pro-vie » est donc un mème qui se réplique tout naturellement de tête en tête, à perte de vue. A contrario, une éthique qui ne donne pas la priorité à la reproduction a peu de chance de se répliquer durablement, comme l’histoire de la pensée humaine l’a prouvé. L’algoprioritarisme est apparu en Inde et en Grèce il y a environ 2500 ans, mais a rapidement été supplanté en Occident par le stoïcisme puis le christianisme, jusqu’à son grand retour du 18e siècle, avec notamment l’inscription du « bonheur » au coeur même des Droits de l’Homme de 1789. Mais, dès le 20e siècle, l’idéologie de reproduction a mondialement repris la main au plan juridique avec la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 (DUDH). Ce texte, dont les rédacteurs principaux étaient de culture judéo-chrétienne, a réimplanté la valeur de la « vie » (qui ne figurait pas dans les Droits de 1789) et supprimé la référence au « bonheur », en la remplaçant par l’équivoque « dignité » de la personne humaine.
Ainsi, un débat sur la circoncision qui reste sur le registre juridique sans questionner le choix éthique qui y est inscrit depuis 1948, est trop partiel. Si la circoncision pose autant problème, c’est précisément parce qu’elle peut engendrer des souffrances, lourdes, pour la vie entière, alors que la « souffrance » n’est pas explicitement prise en compte dans les droits fondamentaux contemporains. D’où l’angle mort de l’Avis du CCBB qui, avec son chapitre VI consacré aux CONSIDÉRATIONS ÉTHIQUES, restreint ainsi le champ de sa réflexion : « La question est de faire la balance entre, d’une part, le respect des convictions religieuses ou culturelles des parents et le signe de l’appartenance de l’enfant à une communauté et d’autre part la préservation du droit à l’intégrité physique. » De fait, le terme « souffrance » n’apparaît que 2 fois dans les 31 pages de l’Avis, et pas même comme un argument du CCBB. Pourtant, l’allègement de la souffrance n’est-il pas l’enjeu premier pour la plupart des gens ?
Un débat public devrait également questionner l’éthique sous-jacente au fameux « droit à l’intégrité physique », qui est une discutable éthique de « sacralisation de la nature » (voir notre vision, note 3).
Pour Droit au Corps, il est important que le débat sur la circoncision s’ouvre à une réflexion éthique qui dépasse le cadre partiel du Droit actuel, qui prenne en compte l’enjeu premier de tout être sensible : sa souffrance. Ce serait une bonne occasion pour envisager une nouvelle Déclaration Universelle des Droits, dont l’allègement de la souffrance serait la priorité, ce qui permettrait de saisir plus adéquatement de grands sujets de société comme la circoncision.
Note : pour approfondissement, voir cette recherche universitaire et son annexe consacrée au revirement judéo-chrétien des droits fondamentaux, avec la DUDH de 1948 (annexe 9c page 817)