Article publié sur Zaman France le 4 septembre 2012
Le débat qui fait rage en Allemagne sur une éventuelle interdiction de la circoncision religieuse pourrait s’inviter, à terme, en France. Tolérée, mais non fondée en droit, la circoncision n’a pas encore soulevé de vagues dans l’Hexagone. D’après le chercheur Samim Akgönül, une polémique sur ce sujet renforcerait le risque de communautarisation religieuse des musulmans de France.
« La Turquie observe avec étonnement que la pratique de la religion n’est plus totalement garantie en Allemagne. » Ces propos du ministre turc chargé des Affaires européennes, Egemen Bagis, tenus dans le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung faisaient écho à la polémique qui a éclaté outre-Rhin sur une possible interdiction de la circoncision.
Un arrêt d’un tribunal de Cologne s’était prononcé dans ce sens au nom du « libre épanouissement » de l’enfant et de « la préservation de son intégrité physique », provoquant l’ire des communautés juive et musulmane allemandes.
Si, dans l’immédiat, aucune loi fédérale n’est venue sanctionner ce débat, un précédent juridique pourrait faire tâche d’huile en France, premier pays musulman du continent avec une communauté estimée autour de 5 millions de fidèles. Jusqu’à présent, le sujet n’a pas été abordé au plus haut niveau, mais comme souvent sur les questions liées à l’islam, le contexte européen pourrait être un facteur déclenchant.
La circoncision relève du droit coutumier
C’est l’avis de Samim Akgönül, enseignant-chercheur et spécialiste des religions minoritaires dans l’Europe élargie à l’université de Strasbourg.
« Dans la perception identitaire en Europe occidentale, ce genre de décisions contamine très rapidement l’ensemble des pays européens. Cette contamination a pu être observée pour des questions telles que le foulard, l’abattage rituel, les tribunaux d’arbitrages, la burqa ou les minarets », dit-il.
En France, la pratique de la circoncision est jusqu’à présent plus tolérée que légalisée. Dans son rapport annuel de 2004 consacré à la laïcité, le Conseil d’État la considérait comme « admise » tout en précisant qu’elle est « dépourvue de tout fondement légal ». N’étant pas, dans ce cas de figure, prescrite ou justifiée du point de vue médical, la circoncision procède donc du droit coutumier et relève du bon vouloir tacite de la profession médicale, depuis l’ordonnance prescrite par le médecin généraliste jusqu’aux hôpitaux où se pratique l’opération chirurgicale.
Comme le souligne la journaliste Isabelle de Gaulmyn dans le quotidien La Croix, l’article 16 du Code civil qui stipule qu’ « il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui » n’a jamais été utilisée contre la circoncision, à l’instar par exemple de l’excision.
Cet argument de mutilation du corps de l’enfant serait-il donc recevable en France ? Pour le professeur Akgönül, il l’est, même s’il reste difficile de se prononcer, car « la réponse fait appel à des convictions » et celles-ci sont aussi évolutives. « Les comportements religieux ne sont pas statiques. Ils sont dynamiques, changent dans le temps et selon le contexte sociologique » ajoute-t-il.
Les risques de l’assignation communautaire
L’un des travers de ce type de débat, qui peuvent tourner rapidement à la polémique, serait néanmoins le risque d’enfermement communautaire pour les Français issus de l’immigration.
« Les années Sarkozy ont laissé des traces. Il est encore possible de voir des discours essentialistes qui renvoient les musulmans à leur seul caractère de musulmans », considère M. Akgönül.
Un danger que le chercheur associe directement à la situation minoritaire des musulmans européens et aux postures tendancieuses qu’elle peut générer.
« Les musulmans d’Europe ont des réactions de minoritaires, c’est-à-dire défensives. Dans cette situation, et à l’ère du positivisme, toutes les religions tentent de trouver des explications rationnelles à leurs pratiques », dit-il, faisant référence notamment aux campagnes de prévention des maladies sexuellement transmissibles qui s’appuient sur la circoncision. L’universitaire, qui aime à rappeler les origines ancestrales de cette pratique qui remonterait au « Néolithique et au culte de la déesse-mère qui est en fait la terre », souligne les enjeux liés à cette démarche rationaliste.
« Ces rationalisations font partie d’une recherche de légitimité. La circoncision et les autres comportements identifiés à l’islam sont au cœur de ce processus de légitimation en cours. Aussi, ce genre de pratiques, lorsqu’elles sont attaquées, deviennent des étendards », conclut l’universitaire.