En août 2018, Droit au Corps a publié un post enthousiaste sur sa page Facebook pour fêter l’adoption, par le gouvernement allemand, d’un texte qui légalise un « troisième genre » sur les certificats de naissance. Ce post a fait l’objet de plusieurs critiques d’internautes pourtant sympathisants de notre collectif. Il est donc apparu nécessaire de commenter les raisons de l’enthousiasme de notre association, alors que l’opinion publique n’a pas encore eu le temps d’intégrer le phénomène de l’intersexuation, et encore moins d’en tirer les conséquences logiques mais profondément déstabilisantes pour les personnes attachées aux traditions juridiques et linguistiques.
Image d’illustration.
Commentaire de Droit au Corps : il nous semble utile d’expliquer pourquoi il s’agit d’une « fantastique nouvelle » pour l’abandon des mutilations sexuelles intersexes et même masculines ou féminines. Ce qui se passe à notre époque à travers le monde, en vue de mettre fin à la « binarité de genre » et aux mutilations sexuelles intersexes, est le fruit de ce qu’on appelle les « études de genre », qui ont historiquement débuté dans la 2ème moitié du 20e siècle, quand des médecins ont commencé à se demander s’il fallait vraiment mutiler le corps des enfants qu’on n’arrivait pas à classer en « homme » ou « femme ».
Actuellement plus de 1 % de la population mondiale, les personnes « intersexuées », n’entre anatomiquement et biologiquement pas dans les 2 catégories définies par convention culturelle comme « homme » ou « femme ». De ce fait, ces personnes n’ont pas la pleine existence juridique reconnue aux « hommes » et aux « femmes », avec tous les droits qui en découlent. Dans les pays qui ne reconnaissent juridiquement que la binarité des genres H/F, ces personnes ne se voient pas reconnu l’essentiel de ce qui donne un statut juridique, à savoir un statut sexuel (découlant de l’inscription à l’État Civil en France). Pire encore, dans les langues comme la langue française, qui oblige à désigner un être humain en le qualifiant d’homme ou de femme, « il » ou « elle » (à la différence de l’anglais par exemple avec “he” “she” et le 3e genre “it”), ces personnes sont non seulement démunies de la plupart des attributs juridiques des hommes et des femmes, mais elles sont de plus totalement « exclues » par le langage lui-même. Cette double exclusion, juridique et langagière, exerce donc une forte pression à la mutilation sexuelle afin de les faire entrer dans les 2 seules catégories reconnues par la société : H/F. Si un enfant intersexué n’est pas mutilé sexuellement, une société restée au stade de la binarité de genre ne sait pas dans quelle catégorie « homme » ou « femme » le ranger, ne sait pas s’il faut dire « il » ou « elle » pour en parler. D’où l’intérêt de créer un 3ème genre pour sortir de l’impasse.
Mettre fin à la binarité des genres (H/F), donner une place juridique et langagière à ce 1 % de la population, est donc une étape essentielle pour mettre fin aux mutilations sexuelles des enfants. Plusieurs options sont envisageables pour mettre fin à la binarité de genre :
- suppression de la sexuation des genres : juridiquement (suppression du « sexe » à l’État Civil) et éventuellement dans le langage même (langue dite « neutre » en terme de sexuation des individus)
- création d’un 3ème genre sexuel : au plan juridique (choix de l’Allemagne) et au plan de la langue, avec soit l’obligation soit l’option de qualifier un individu par son genre sexuel.
Si l’on veut en finir avec les mutilations sexuelles des intersexués, il faut donc faire évoluer le droit, et dans la foulée faire évoluer la langue française elle-même, ce qui s’annonce comme une évolution majeure probablement déstabilisante pour les personnes attachées à la reproduction des « traditions » culturelles. Il y a là une exceptionnelle opportunité de simplifier la langue française avec un genre sexuel neutre qui n’oblige plus à qualifier sexuellement les individus, bien que la langue pourrait permettre cette distinction en option lorsque c’est utile : ainsi à notre époque il est possible de désigner un individu sans être obligé de préciser la couleur de sa peau, comme cette obligation a été le cas des contrées d’apartheid jusqu’au 20e siècle sur les papiers d’identité, bien que cette qualification reste possible en option lorsqu’elle est utile. Bien pensée, une telle évolution de la langue française permettrait au passage de faire d’une pierre deux coups, en mettant fin d’un même trait de plume au sexisme du « masculin qui l’emporte toujours sur le féminin ».
Enfin, rappelons que, anthropologiquement et depuis des millénaires, la circoncision des filles et des garçons a pour fonction essentielle de les faire passer au statut de « femme » et d’« homme », en coupant chez la fille tout ce qui peut anatomiquement faire penser au masculin (typiquement le clitoris) et en coupant chez le garçon ce qui peut faire penser à une fille (prépuce / petites lèvres). Mettre fin à la binarité de genre, comme vient de le faire l’Allemagne après d’autres pays, est donc une étape non négligeable pour mettre fin à l’excision et à la circoncision. Dans les pays qui pratiquent excision et circoncision, la suppression de la binarité de genre va inévitablement provoquer un questionnement de la circoncision masculine et féminine qui en sont issues.
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