Remettre en cause la circoncision n’a rien d’antisémite

Article paru le 18 octobre sur washingtonpost.com

Par Ronald Goldman

Ronald Goldman est un juif américain, docteur en psychologie et directeur exécutif d’un centre luttant contre la circoncision masculine : Circumcision Ressource Center, ainsi que Jewish CRC. Il est l’auteur de Questioning Circumcision: A Jewish Perspective et Circumcision: The Hidden Trauma.

Au début du mois, le Conseil de l’Europe a accepté une résolution non contraignante pour défendre « le droit des enfants à l’intégrité physique ». L’objectif était de renforcer la protection des droits de l’enfant, s’opposer à la violence envers les enfants et promouvoir la participation de l’enfant à des décisions importantes qui le concernent directement. La mutilation génitale forcée d’enfants de sexes masculin (circoncision) et féminin (excision) était mentionnée parmi d’autres exemples de violations.

Le Conseil de l’Europe, fondé en 1949, est une organisation internationale qui promeut la coopération dans les domaines des droits de l’homme, des normes juridiques et du développement démocratique. Le résultat du vote de cette résolution fut de 78 contre 13, avec 15 abstentions.

Quelques jours plus tard, le ministre israélien des Affaires étrangères ainsi que quelques groupes juifs traditionalistes ont dénoncé cette décision. La déclaration du ministre dit que cette résolution « encourage les tendances haineuses et racistes », affirmant que la circoncision n’est source d’aucun mal et refusant toute comparaison entre circoncision et excision.

D’autres arguments avancés furent le caractère supposé antisémite de la décision, la violation de la liberté religieuse ou encore « l’attaque à peine déguisée » contre les juifs d’Europe que cela représenterait. Cette réaction prévisible nécessite une réponse.

Tout d’abord, le ministre israélien ne parle pas au nom de toutes les personnes de confession juive, ni au nom de tous les juifs d’Europe, pas même au nom de tous les Israéliens. Le Jewish Circumcision Resource Center représente des personnes de confession juive de par le monde qui remettent en cause la circoncision rituelle.

Logo du Jewish Circumcision Resource Center

Voici quelques faits à ne pas négliger :

  • La circoncision comme pratiquée dans la religion juive n’est pas obligatoire : elle relève d’un choix. Certains parents de confession juive originaires d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud, d’Europe et d’Israël font le choix de ne pas faire circoncire leur(s) fils.
  • La circoncision est sujette à débat dans la communauté juive elle-même et a été remise en question de tout temps et dans différentes publications juives ces dernières années.
  • Dans les faits actuels, la plupart des personnes de confession juive pratiquent la circoncision par pure conformité culturelle, et non pour des raisons religieuses.
  • Selon l’Encyclopedia Judaica, « tout enfant né d’une mère de confession juive est lui-même juif, qu’il soit circoncis ou non. »
  • Selon les valeurs juives, le corps humain ne doit être ni modifié ni mutilé, et ne doit faire subir aucune souffrance à aucune autre créature vivante. Certaines personnes de confession juive pensent que la circoncision n’est pas éthique. Les valeurs juives placent le comportement éthique au-dessus de la doctrine.

En rejetant tout bien-fondé des arguments avancés, les défenseurs de la circoncision croient plutôt en une motivation dissimulée. Ils ne parviennent pas à différencier les reproches argumentés faits à cette pratique et une attitude hostile qui serait générale et injustifiée.

Il est possible de remettre en cause les actions d’un individu ou d’un groupe d’individus sans pour autant être catégoriquement opposé à cet individu ou à ce groupe. Les personnes remettant en cause une politique du gouvernement américain sont-elles forcément anti-américaines ? Il semble plus vraisemblable que remettre en cause une pratique que l’on pense préjudiciable soit motivé par la bonne volonté et non par la mauvaise.

Les autorités juives esquivent le thème central de la décision. Ils ne revendiquent pas que les enfants n’ont pas le droit à l’intégrité physique, ni ne revendiquent que la circoncision n’est pas une violation de l’intégrité physique. Les autorités juives admettent donc implicitement qu’elles n’ont pas de réponse. Par conséquent, leurs accusations sur la résolution peuvent être vues comme une tentative d’intimidation.

La circoncision est une exception faite aux principes acceptés comme la « règle d’or ». N’importe quel homme adulte ne saurait tolérer une circoncision que l’on pratiquerait sur lui sans son accord préalable. Si cette pratique voyait le jour aujourd’hui, nous serions horrifiés, tout comme certaines personnes sont horrifiées quand elles découvrent en quoi consiste cette pratique. Si l’on touchait à n’importe quelle partie du corps de l’enfant pour procéder à une mutilation, n’importe qui y serait farouchement opposé.

La liberté religieuse a ses limites. Prenons pour exemple la vie d’un enfant qui dépendrait d’un traitement médical que sa religion prohibe ; le tribunal ne tiendrait pas compte de la religion des parents pour la sécurité, la santé et le bien de l’enfant. Or, de nombreuses personnes éprouvent de l’empathie et reconnaissent que la sécurité, la santé et le bien de l’enfant sont affectés lors de la pratique de la circoncision.

Il y a préjudice corporel dès qu’un instrument pénètre ou mutile une partie du corps saine, naturelle et fonctionnelle. Par conséquent, l’argument selon lequel la mutilation de l’appareil génital masculin serait différente de la mutilation de l’appareil génital féminin ne tient pas la route. Bien que les défenseurs de la circoncision démentent systématiquement tout préjudice, le bon sens ainsi que des dizaines d’études font bien état d’un préjudice physique, sexuel et psychologique. Pour le bien des enfants, on doit être ouvert à l’idée de prendre en compte ce préjudice. Quant au point de vue médical en faveur de la circoncision, il repose sur des facteurs psycho-sociaux, de graves omissions ainsi que sur des biais culturels et médicaux.

Les juifs ont fait circoncire leurs fils depuis des milliers d’années, mais cela ne justifie pas ni ne réduit le mal causé. Ça le perpétue. Les recherches sur la circoncision, la théorie du traumatisme psychologique ainsi que les expériences cliniques soutiennent l’idée que la circoncision est traumatique. Un iceberg de facteurs émotionnels sous-jacents lié à cette pratique contribue à perpétrer, génération après génération, ce traumatisme que représente la circoncision. « Nos enfants rendront à la société ce que nous leur faisons subir, en bien ou en mal », dit le dicton. (1)

Sur ce sujet, il est important d’être attentif à nos conflits intellectuels, émotionnels et éthiques. Partout dans le monde, on travaille à protéger toujours mieux nos enfants. Nous devons continuer ces efforts pour eux et travailler ensemble avec compréhension, compassion et persistance.

1. “What’s done to children, they will do to society.” Citation de Karl Menninger, éminent psychiatre américain, défenseur notamment des enfants maltraités et abusés.

Traduction française : Droit au Corps

A lire également : La circoncision chez les juifs