Jacques Fernanché est un psychothérapeute qui exerce sa profession depuis plus de 20 ans. Dès les années 1980, il commence à s’intéresser à la circoncision et à remettre en cause la pratique, notamment après avoir été témoin de la circoncision d’un bébé décédé 3 semaines plus tard. Issu d’une famille juive, il a lui-même été circoncis à l’âge de 8 jours lors d’une Brit Milah, le rituel juif de circoncision.
Jacques Fernanché a souhaité partager son point de vue sur le sujet. Dans cet article, il aborde deux thèmes : la circoncision et l’identité juive, et les mères juives face à la circoncision.
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Note : Les témoignages publiés par Droit au Corps ont été sélectionnés pour leur intérêt, même s’ils ne reflètent pas nécessairement les positions de l’association.
Introduction
Le sujet dont je souhaite parler n’est ni simple, ni facile, surtout pour la communauté juive. En tant que juif, il m’est difficile et inconfortable d’écrire sur ce thème, et en même temps cela est nécessaire, pour avoir été à l’origine de sérieuses interrogations dans ma vie personnelle.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à signaler que je ne suis ni antisémite, ni juif honteux, puisque je suis solidaire de ce qui arrive à la communauté juive, ainsi qu’à toutes les communautés de France, musulmanes, chrétiennes, tibétaines et autres. En outre, cet essai n’a aucune connotation politique et aucun amalgame ne saurait être fait avec la politique israélienne au Proche-Orient.
Je donnerai cependant un avis et conseil aux lecteurs : de part sa nature anxiogène (ce texte peut causer des réactions émotionnelles comme de la peur, de la tristesse, de l’irritabilité, mais peut être aussi source de joie et d’ espoir pour certains), je vous invite, si nécessaire, à faire des pauses, voire des petites marches relaxantes durant la lecture de cet article, pour réguler au mieux votre niveau de stress et garder les idées claires, nécessaires à une lecture ouverte, curieuse et sans préjugés.
J’ai longtemps hésité avant d’aborder ce sujet à nouveau, ici en France, car il pourrait réveiller de vieilles blessures, si amené de manière dogmatique et autoritaire. Cependant, j’ai la ferme conviction que, sous certaines conditions dont je reparlerai plus loin, il pourrait être non seulement utile mais salutaire de l’amener dans les débats publics, sans pour autant traumatiser ou amener de la souffrance dans la communauté juive de France.
Il s’agit du thème de la circoncision. Un sujet aux maintes facettes, reliées entre elles et souvent inexplorées.
L’aspect le plus évident de cette pratique, indépendamment des corollaires sur la tradition, l’hygiène, la prévention de maladies, l’esthétique, etc, est qu’elle provoque de la souffrance sous forme d’une énorme et intense douleur physique chez le nourrisson de huit jours. Et cette question est la pierre fondamentale dans la vision de l’association Droit au Corps, qui amène ses lumières contre les mutilations sexuelles de tout genre !
Après cette brève introduction, j’en arrive donc aux deux premiers thèmes sur lesquels je voulais m’entretenir avec vous : la question de la circoncision et de l’identité juive, et la position souvent inconfortable de la mère par rapport au rituel exercé sur son fils.
La circoncision et l’identité juive
Tout d’abord, examinons le thème de l’identité juive : comme tout le monde le sait, la religion juive est intimement liée au pacte d’Alliance avec Dieu et cette dernière est premièrement symbolisée par le rituel de la circoncision qu’effectue Abraham sur son fils Isaac.
De là aussi naît la notion de peuple élu, en ce qui concerne les hommes, reconnaissable physiquement par une marque perpétrée sur l’organe sexuel des bébés.
Nous reviendrons plus tard, dans un autre article, sur les conséquences que cet acte peut avoir sur le psychisme de l’enfant et la sexualité adulte, sans parler des complications médicales qui peuvent survenir pendant et après l’opération et pouvant déboucher, dans les cas les plus extrêmes, sur le décès du nourrisson. Ses effets sont plus néfastes et nombreux qu’on imagine, car peu divulgués par les divers médias français. Ces questionnements ont été davantage mis en évidence aux États-Unis, où la circoncision des bébés au premier jour de vie atteignait le niveau record de 90 % dans les années 1970. Il est donc normal que les problèmes aient été recensés en plus grand nombre dans ce pays, mais aussi que ses détracteurs soient plus nombreux, organisés sous forme d’associations et jouissant de plus de visibilité.
C’est ainsi que, dans le sillon creusé par une poignée de courageuses (la première association à parler du problème de la circoncision non consentie, NOCIRC, a été créée par des infirmières) qui remettaient en cause cette pratique taboue au milieu des années 80, sont apparus les premiers rabbins et officiants religieux, voulant soutenir les quelques familles juives désireuses d’un rituel d’accueil bienveillant de leurs petits garçons, libéré d’une coupure douloureuse et potentiellement traumatisante. Aujourd’hui, ils sont plus de 130 rabbins dans le monde, notamment aux États-Unis, au Canada et en Israël, à pratiquer ce nouveau rituel, où la Brit Shalom remplace la Brit Milah, à savoir la coupure symbolique d’un fruit qui remplace l’ablation réelle du prépuce !
L’accueil et le sentiment d’appartenance à la communauté juive est le même, l’angoisse des parents et la souffrance du bébé en moins !
La Brit Shalom associée aux autres fêtes et traditions juives majeures comme Pessah, Yom Kippur, Hannukah, etc, continuent donc de constituer le socle inébranlable de l’identité et de l’histoire juives. Cette réforme actuellement en marche et que personne ne pourra arrêter à long terme est un progrès indéniable, digne des plus hautes valeurs humanistes issues des droits inaliénables de l’homme et du bébé à leur intégrité physique.
Les mères juives face à la circoncision
A la suite de l’examen de l’identité juive, accueillons maintenant les commentaires secrets de certaines femmes juives par rapport à la circoncision : j’en ai questionné plusieurs qui ont fait circoncire leur(s) fils et il n’était pas rare qu’elles aient développé une certaine culpabilité, même si refoulée par la suite, par rapport à ce rituel. Mais elles ne pouvaient pas s’y opposer, puisque cela est pratiqué par les hommes depuis des millénaires, de génération en génération. En outre, elles risquaient de sérieux conflits, comme être critiquées par leur mari et famille, ce qui au niveau psychologique pourrait équivaloir à un sentiment de peur de non-appartenance ou d’exclusion de cette communauté.
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Cela configure une situation hautement anxiogène pour n’importe quel individu d’un groupe social donné, a fortiori pour une femme fragilisée par l’accouchement qu’elle vient de vivre, souvent dans des conditions difficiles et épuisantes huit jours auparavant… En outre, un nouvel équilibre physiologique et émotionnel est à trouver avec l’arrivée de son nourrisson. Dans le monde animal, une mère défendrait avec acharnement la vie de son petit s’il était menacé par quelque prédateur que ce soit, mais dans la race humaine, la question est différente pour les raisons évoquées ci-dessus et plus spécifiquement parce que le cortex, dominé par la peur, consciente ou inconsciente, peut faire prendre à la mère des décisions et attitudes contraires à l’instinct de protection des mammifères que nous sommes !
C’est donc un sujet très délicat et bien évidemment, les mères juives ne sauraient être ni blâmées ni jugées au vu des peurs dont elles pourraient être l’objet, et aussi car c’est l’un des thèmes tabous, donc très délicat à remettre en cause dans la religion juive, puisqu’il est son fondement. Elles devraient, au contraire, être protégées et bien informées avant la survenue du rituel, car au moment de ce dernier, elles seraient trop fragilisées et trop identifiées avec leurs bébés pour tenter de s’opposer à quoi que ce soit et présenter une solution alternative. Cependant, si leurs postures de mères protectrices étaient renforcées et bien conscientes, elles pourraient débattre et « négocier » avec leur compagnon, sur une base non seulement subjective mais légale, des formes douces et non intrusives de rituels de bienvenue.
Formes totalement compatibles avec la loi française selon l’article 16-3 du code civil : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. » Ou bien encore selon l’article 41 du code déontologie médicale : « Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement. »
Pour ce qui est des réactions physiologiques du bébé lors de la circoncision, celles-ci vont dépendre du stress accumulé pendant la gestation, l’accouchement, et les sept premiers jours de vie.
Pour faire simple, sachons que même en cas de gestation et accouchement compliqués, si la mère n’a pas de dépression post-partum et se sent relativement bien avec son bébé, celui ci aura la possibilité de réguler son système nerveux autonome et le résilier après ces débuts difficiles. Il pourra donc passer par cette nouvelle épreuve avec plus de vigueur et de plasticité neuronale et donc avoir moins de probabilité de développer du stress post-traumatique et sa cohorte de séquelles psychosomatiques.
En revanche, si pour des raisons liées à sa psychologie, la mère ne peut développer qu’un lien faible avec son bébé, avant et après la circoncision, les chances de choc traumatique seront d’autant plus élevées. Car c’est le sentiment de protection et de sécurité que le bébé ressent dans le giron affectif de sa mère qui lui permet de détendre son système neuro-musculaire de toutes tensions liées à divers stress (difficulté pendant l’accouchement, faim, manque d’amour, maladies ou chirurgies post-natales notamment). Et cette régulation se fera principalement pendant son allaitement et surtout par la protection qu’il éprouvera sous le regard attentif et tendre de sa mère : il sera, dans cette condition seulement, capable de lâcher prise des contractions musculaires liées aux tensions mentionnées ci-dessus, principalement sous forme de tremblements de la bouche pouvant se généraliser à tout le corps. C’est ainsi que se crée et se développe les fondements de la confiance en soi, de la résilience et de l’immunité physio-psychologique au stress chronique et aux maladies. Ce sont donc, aussi pour ces raisons physiologiques et qui s’entremêlent aux raisons éthiques, que la circoncision devrait être différée à un âge où l’intéressé est apte à consentir en disposant de toutes les informations relatives à ses conséquences.
Pour conclure et au risque de me répéter (le sujet est trop grave), nul ne peut prévoir l’état psycho-physiologique de la mère après l’accouchement de son bébé et le risque est trop grand que le bébé ne puisse « résilier son système nerveux » après l’opération. Le principe de prudence, allié aux lois contre la maltraitance, visant la protection physique et psychique des enfants et des bébés, nous oblige donc à différer cette opération rituelle à un âge ultérieur et cela, si et seulement si elle est consentie par l’intéressé.
Pour finaliser ce premier essai, même s’il a eu une fonction positive à l’époque où il a été implanté, je suis heureux d’annoncer à la communauté juive qu’il y a une alternative à ce rituel, obsolète et générateur de souffrance. Nous entrons dans une nouvelle ère où de nouveaux rituels d’accueil, doux et bienveillants sont déjà à disposition des familles juives informées et désireuses de changement. Qu’elles puissent compter sur notre soutien pour une nouvelle Alliance pleine de sens, de respect envers les êtres sensibles et de paix.
Shalom !
Pour l’espace francophone, Droit au Corps a le plaisir de soutenir la démarche Brit Shalom, l’Alliance sans souffrance, apparue en 2016.