Le 1er octobre 2013, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) avait adopté une résolution portant sur le droit des enfants à l’intégrité physique. Plusieurs pratiques y étaient qualifiées de « violations de l’intégrité physique des enfants », dont la circoncision masculine.
Le mois dernier, on apprenait qu’une contre-résolution serait soumise fin janvier au Bureau de l’APCE.
Suite à cette nouvelle, Mogis, association allemande pour la protection des enfants, a prit l’initiative d’écrire aux membres de l’APCE. La lettre a été diffusée en cinq langues (allemand, anglais, français, espagnol et italien). La voici en français.
Rostock, le 17 janvier 2014
APCE: Lettre ouverte concernant Proposition de résolution | Doc. 13364
Mesdames et Messieurs les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,
Nous vous écrivons en tant que représentants d’hommes adultes vivant avec les répercussions négatives d’une circoncision effectuée durant leur enfance.
Ce 27 janvier, vous allez statuer sur les suites à donner à une résolution dont l’intention semble être de réagir à la résolution 1952 intitulé Children´s rights to bodily integrity, adoptée le premier octobre 2013.
Cette dernière s’est prononcée pour que l’on considère, entre autres, la circoncision de garçons mineurs pour motif religieux comme une atteinte à l’intégrité physique. Elle a enjoint les Etats membres de définir des standards à minima pour cette procédure médicale. En outre, elle a appelé à une discussion sur les solutions juridiques qui garantiraient le consentement du garçon concerné comme prérequis à cette intervention.
Cette résolution a pris forme pendant une période de 15 mois et il apparaît qu’une procédure d’urgence ait maintenant pour objectif de l’annuler.
Permettez-nous un constat préalable : l’amputation du prépuce est une intervention chirurgicale, qui consiste en l’ablation irréparable d’une partie fonctionnelle de l’organe sexuel, avec son corollaire de conséquences pour le reste de la vie de la personne concernée, en plus des risques de l’opération, qui dépendent également de l’opérateur et des conditions dans laquelle elle est effectuée.
Pour ces raisons, il faut que la discussion à propos des solutions juridiques à apporter à cette thématique soit abordée sous l’angle des droits de l’Homme et en particulier ceux de l’enfant, ainsi que sur la base des connaissances médicales et scientifiques actuelles. La résolution qui vous est soumise soutient : “that circumcision harms the health and body of young boys do not rest on scientific evidence.”
Cette assertion surprenante contredit les déclarations des associations européennes de pédiatrie, notamment celle de 38 pédiatres de 16 pays publiée en mars 2013 : https://tinyurl.com/european-circumcision-study.
Sa conclusion est :
There is growing consensus among physicians, including those in the United States, that physicians should discourage parents from circumcising their healthy infant boys because nontherapeutic circumcision of underage boys in Western societies has no compelling health benefits,causes postoperative pain, can have serious long-term consequences, constitutes a violation of the United Nations’ Declaration of the Rights of the Child, and conflicts with the Hippocratic oath: primum non nocere: First, do no harm.
Nous, hommes concernés, avons personnellement fait l’expérience de ces conséquences. A l’âge où est habituellement imposée cette intervention, aucun garçon n’est au courant des conséquences à vie de l’ablation de 50 % en moyenne de tissus et de 70 % des zones érogènes du pénis, puisqu’elles ne développeront leur effet qu’à partir de l’âge où il y aura activité sexuelle.
Ces conséquences sont notamment:
- l’altération de la physiologie naturelle des tissus internes et externes du pénis : les tissus internes hautement sensitifs sont supprimés pour partie (le prépuce), et les tissus préservés (le gland) sont privés de leur protection naturelle, ce qui induit à moyen et long terme un déssèchement (kératinisation) et une désensibilisation de la peau du gland ;
- la perte de la fonction de coulissement du prépuce lors du rapport sexuel, qui peut induire des douleurs vaginales de la partenaire, par frottement accru ;
- une perte drastique de jouissance sexuelle, puisque le prépuce dispose de plus de terminaisons nerveuses que le gland et possède en particulier des cellules spécialisées (dites cellules de Meissner) ;
- la masturbation sans douleurs nécessite souvent l’usage de lubrifiants, ce qui explique la vente de crèmes destinées aux pénis circoncis.
De surcroît nous subissons de nombreuses conséquences psychologiques à long terme, telles que la perte de contrôle sur notre propre corps, un complexe d’infériorité, une difficulté à vivre une relation affective, l’évitement de relations sexuelles, de la honte et de la dépression.
A l’âge adulte, nous, les hommes négativement concernés, sommes entièrement laissés pour compte. Les statistiques sur les complications ne relatent que les suites immédiates de l’intervention. Les complications tardives n’y trouvent aucun écho. Par manque de conscience de ces problèmes, beaucoup d’hommes concernés n’identifient pas la cause de leurs souffrances, sans parler de l’absence d’aide médicale.
La portée des risques possibles et les conséquences d’une amputation du prépuce rendent donc indispensable que la décision de pratiquer cette intervention soit entièrement réservée à la personne concernée, qui devra s’accommoder des suites pour le reste de ces jours. La capacité d’accéder à un consentement éclairé est le prérequis d’une telle décision.
Nous savons qu’en tant que députés vous n’êtes tributaires que de votre conscience.
Nous appelons à votre sens de la responsabilité, de vous prononcer pour la défense des plus faibles dans notre société : les enfants, qui ne peuvent ni se défendre ni s’organiser eux-mêmes.
Mobilisez tout votre courage et agissez en adéquation avec les organisations européenes de pédiatres, avec les défenseurs des droits des enfants des pays nordiques (les ombudsmans) et les nombreuses organisations des droits de la femme et des droits de l’Homme en général.
Jugez et agissez dans l’intérêt de l’enfant, car il s’agit bien de son corps et de son droit de vivre dans le corps dans lequel il est né.
Lettre signée par :
- Christian Bahls, chairperson MOGIS e.V. ;
- Guy Sinden, représentant Droit au Corps.
Source : MOGIS e.V.