Cet article fait partie du dossier La circoncision dans le monde.
Sommaire :
- L’origine
- La procédure
- Mouvement d’opposition à la circoncision au sein de la communauté juive
- Complément vidéo
- Conclusion
- Épilogue
- Notes et références
L’origine
Dans le judaïsme, la circoncision représente la marque de l’alliance avec Dieu et doit se faire au 8ème jour de la naissance de l’enfant. La circoncision s’appelle en hébreu milah (coupure), mais l’expression complète est brith milah, brit signifiant « alliance ».
Il est intéressant de constater qu’il s’agit d’un moyen revendiqué par des représentants du judaïsme pour inhiber le désir sexuel de l’individu.
Maïmonide (1138-1204), l’un des philosophes juifs les plus respectés, a ainsi déclaré :
Je crois […] que l’un des motifs de la circoncision, c’est de diminuer la cohabitation et d’affaiblir l’organe sexuel, afin d’en restreindre l’action et de le laisser en repos le plus possible […]. Le véritable but, c’est la douleur corporelle à infliger à ce membre et qui ne dérange en rien les fonctions nécessaires pour la conservation de l’individu, ni ne détruit la procréation, mais qui diminue la passion et la trop grande concupiscence. Que la circoncision affaiblisse la concupiscence et diminue quelquefois la volupté, c’est une chose dont on ne peut douter; car, si dès la naissance on fait saigner ce membre en lui ôtant sa couverture, il sera indubitablement affaibli. [1]
Et cette idée est encore d’actualité, comme le prouvent ces propos tenus par un chirurgien mohel en 2012 :
Le prépuce contient une structure nerveuse extrêmement développée et riche en récepteurs sensoriels qui sont extrêmement importants dans l’acte sexuel et qui concourent à l’orgasme chez l’homme. (…)
Il est évident que c’est [la circoncision] une marque qui permet d’atténuer les tendances, les pulsions sexuelles comme dirait Freud, qui sont innées en nous, et le but au fond n’est pas d’empêcher mais de canaliser. Cette excision du prépuce, spirituellement, est un potentiel que l’on donne à l’enfant de canaliser son futur par rapport à sa moralité. [2]
La procédure
Dans son livre [3], Aldeeb indique que « la circoncision est pratiquée chez les juifs par un circonciseur spécialisé appelé mohel dans le cadre d’un rituel religieux. Mais il arrive aussi que l’opération soit faite par un médecin à l’hôpital. Dans ce dernier cas, la circoncision n’est pas considérée valide du point de vue religieux sauf si elle se déroule dans le 8ème jour et en présence d’un mohel ou d’un rabbin qui récite les prières appropriées. »
Une minorité de juifs ultra-orthodoxes pratiquent une technique de circoncision nommée Metzitzah b’peh en hébreu, consistant pour le mohel à sucer le sang du bébé sur l’incision afin de « nettoyer » la plaie. En réalité, il a été démontré que cette pratique, induisant un contact bucco-génital avec une plaie, peut causer l’effet exactement inverse et avoir des répercussions néfastes en provoquant chez le nouveau-né l’apparition d’herpès néonatal pouvant être sources de pathologies graves pouvant mener, dans des cas extrêmes, à la mort du nouveau-né.
Par conséquent, des chercheurs de l’Université Ben Gourion du Néguev, située en Israël demandent à ce que cette technique rituelle soit abandonnée. [8]
A New-York, environ 3 600 enfants par an sont circoncis selon ce rituel. Chez l’enfant, le risque de contracter l’herpès est d’environ 1 pour 4000. De 2004 à 2011, 11 infections par l’herpès ont nécessité une hospitalisation de l’enfant ; on recense deux décès provoqués par cette infection, ainsi que deux autres cas au moins dans lesquels le bébé souffre de lésion cérébrale. [9]
Face à ce risque, des médecins demandent à ce que cette pratique soit interdite. Des rabbins orthodoxes protestent, alléguant une restriction de la liberté de la religion. Le département de la santé de la ville de New-York adopte une position de compromis en septembre 2012, laissant cette pratique autorisée sous réserve que les deux parents aient donné leur consentement après avoir été informés sur la dangerosité de cette pratique. [10]
Mouvement d’opposition à la circoncision au sein de la communauté juive
Pour quelles raisons ?
Dans le passé, de nombreux débats sur la circoncision ont eu lieu entre juifs et non-juifs, mais également au sein même de la communauté juive. [4, 15]
De nos jours, il existe un courant opposé à la circoncision au sein de la communauté juive et celui-ci prend de l’ampleur.
Lawrence Hoffman, rabbin libéral américain auteur de Covenant of Blood: Circumcision and Gender in Rabbinic Judaism, résume en trois points les objections actuelles des juifs contre la circoncision :
1/ Sur le plan rituel, la circoncision est contraire au principe de l’égalité entre l’homme et la femme. Elle est un rite qui habilite l’enfant à entrer dans le cercle des hommes qui dominent la société. Certains tentent de résoudre ce problème en proposant un rite symbolique parallèle pour les filles.
2/ Sur le plan médical, la circoncision n’a plus l’importance qu’on lui attribuait dans le passé. Et si elle n’a aucun bienfait sur la santé, elle est par conséquent inutile.
3/ Sur le plan moral, la circoncision rituelle est considérée actuellement comme une mutilation sexuelle pratiquée sur mineurs. Le circonciseur s’octroie donc le droit de mutiler le corps d’un enfant, bafouant ainsi le droit de cet enfant à l’intégrité physique. De ce fait, la circoncision ne saurait plus être acceptée. [7]
L’alternative : Brit Shalom
Certains de ceux qui abandonnent la pratique se tournent alors vers une cérémonie alternative sans coupure appelée Brit Shalom (alliance de la paix, de l’intégrité, contrairement à la Brit Milah, qui est l’alliance de la coupure).
Pour l’espace francophone, Droit au Corps a le plaisir de soutenir la démarche Brit Shalom, l’Alliance sans souffrance, apparue en 2016. Cette cérémonie a l’avantage de procurer la même joie pour la famille que la cérémonie rituelle mais sans les souffrances de la circoncision, et peut être pratiquée aussi bien pour les garçons que pour les filles. [5]
Quelques auteurs juifs qui condamnent la circoncision
Ronald Goldman est un juif américain, psychologue et directeur exécutif d’un centre luttant contre la circoncision masculine (Circumcision Resource Center, voir aussi la section juive : Jewish Circumcision Resource Center).
Il a notamment écrit Circoncision, le traumatisme caché (1997), Questionner la circoncision: une perspective juive (1998), ainsi qu’un article intitulé Circoncision: une source de souffrance juive (1997).
Dans son article de 1997, il termine ainsi :
Questionner la circoncision n’est pas une menace pour le judaïsme, mais seulement une menace pour les défenses qui entourent la souffrance de la circoncision. Remettre en cause honnêtement la circoncision renforcera le judaïsme et donnera des opportunités pour approfondir la communication.
Myriam Pollack est une éducatrice juive américaine de tendance féministe, opposée à la circoncision. Elle est notamment l’auteur de deux articles sur le sujet : Circoncision: une perspective féministe juive (1995) et Redéfinir le sacré (1997).
Eliyahu Ungar-Sargon fait partie de cette nouvelle génération de juifs qui s’opposent à la circoncision. Il a réalisé un film sur le sujet sorti en 2007 : CUT : Slicing Through the Myths of Circumcision.
En Israël, une minorité de plus en plus importante de parents décident de ne pas faire circoncire leur(s) fils. Ronit Tamir est la fondatrice de Kahal, un groupe de soutien aux familles ayant choisi de ne pas faire circoncire leur(s) fils.
Elle déclarait en 2012 :
Lorsque nous avons lancé le groupe il y a 12 ans, nous avons dû nous démener pour trouver 40 familles… Elles gardaient le secret sur le sujet et nous avons dû leur promettre que nous le garderions aussi. Puis nous avons eu un ou deux coups de téléphone par mois. Maintenant, ce sont des douzaines d’e-mails et de coups de téléphone que j’ai chaque mois, des centaines par an. [11]
Il faut préciser que la pression sociale exercée sur ces parents est souvent très forte :
L’opposition à la circoncision en Israël n’est pas une affaire simple. Comme nous l’avons vu, les incirconcis ne peuvent pas être enterrés dans les cimetières juifs. Les conjoints qui refusent de circoncire leur(s) enfant(s) rencontrent d’énormes problèmes avec leurs parents et leurs amis qui rompent toute relation avec eux. Un article paru dans la presse israélienne rapporte qu’une mère a refusé de faire circoncire son fils. Son père l’a alors menacée de la priver de l’héritage. Une autre a perdu tout contact avec ses parents. Une autre a dit que le grand-père a refusé de toucher son petit-fils ou de le voir. Un ami de deux conjoints les a qualifiés de Hitler en les accusant de vouloir détruire le judaïsme. – Sami Aldeeb [6]
Eran Sadeh, fondateur du mouvement Gonnen Al Ha-Yeled (« Protéger l’enfant »), est aujourd’hui l’un des principaux représentants du mouvement intactiviste en Israël :
Jérôme Segal, historien et maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne, s’est engagé en 2012 contre la circoncision forcée en France, en Autriche ainsi qu’en Allemagne. Il a publié plusieurs articles sur la question de la circoncision au sein du judaïsme. [12-15]
Victor Schonfeld, est l’auteur du film It’s a Boy!, dans lequel des Juifs exposent les conséquences néfastes que la circoncision a pour eux. Voici l’interview que le réalisateur a accordé à la chaîne officielle du Conseil de l’Europe, à l’occasion de l’audition sur la circoncision des jeunes garçons qui a eu lieu en janvier 2014 :
Jenny Goodman est médecin, psychothérapeute et féministe juive. En 1995, elle est apparue dans le documentaire de Victor Schonfeld It’s a Boy!. Depuis, elle conteste la circoncision dans la communauté juive et plus largement dans le monde. Elle est l’auteure de l’excellent article La circoncision juive : une perspective alternative.
En 2022, la parole des opposants se diffuse largement
Un documentaire produit par Arte et diffusé en 2022 [16] a suivi l’organisation Brit Shalom l’Alliance sans Souffrance, qui promeut un rituel alternatif à la circoncision juive. On y voit l’un de ses membres, Eric, se rendre chez Victor et Sarah, les parents qui ont célébré la première brit shalom en Europe francophone, dont un extrait est même diffusé.
Victor explique comment il en est venu à refuser la circoncision pour son fils : « Je me suis très vite rendu compte de l’importance du prépuce comme zone érogène la plus sensible du corps de l’homme. Quand j’ai compris ça, que je ne pourrais jamais connaître ça ou vivre ça, comme je savais que j’allais avoir un fils je me suis dit que si je pouvais [lui] éviter ça, je le ferai. » Quant à Sarah, elle déclare : « C’est la première fois que je suis amenée à protéger quelqu’un. J’ai eu cet instinct de protection vis-à-vis de mon fils. Pour moi, l’imaginer devant toute la famille, applaudir un moment où il va souffrir, c’était pas possible. »
Eric, Sarah et Victor s’entretiennent ensuite avec Nardy Grün, rabbin pratiquant la brit shalom, qui explique : « La circoncision est un tabou dans la société juive en Israël. Ça ne fait qu’une vingtaine d’années que les gens se posent des questions. La plupart des juifs d’Israël sont circoncis, mais ils sont peut-être 2 % à savoir que ce n’est pas indispensable pour être juifs et que c’est quelque chose qui fait du mal aux enfants. Dans l’alliance que nous célébrons [brit shalom], l’accueil du bébé ne passe pas par des symboles physiques. On n’a pas besoin d’être marqué dans sa chair pour être juif, c’est une question de conscience. »
Voici l’extrait en question :
Complément vidéo
Dans cette conférence de 2023, le Pr Roland Tomb parle de la circoncision chez les juifs (à partir de 12:20) :
Conclusion
La pratique de la circoncision est donc très ancrée au sein de la communauté juive.
Néanmoins, de plus en plus de parents juifs décident d’abandonner la procédure et de laisser leur(s) fils intact(s), et différents mouvements d’opposition ont vu le jour.
Fin 2013, l’affaire Elinor a suscité une vive polémique en Israël. Le débat entre partisans et opposants à la circoncision s’installe dans les médias (exemple sur i24News).
En 2022, un documentaire produit par Arte porte à la connaissance du grand public un rituel alternatif à la circoncision : brit shalom.
Pour accéder aux sites Internet de mouvements juifs opposés à la circoncision, consulter notre page de liens amis.
Épilogue
Voici la proposition faite par Droit au Corps pour l’avenir de la circoncision juive : L’avenir de la circoncision juive : Brit Shalom à 8 jours et Brit Milah à l’âge du consentement ?
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Notes et références
1. Maïmonide, Moïse (d. 1204): Le guide des égarés, trad. Salomon Munk, Verdier, Lagrasse, 1979, p. 606.
2. Reportage diffusé sur la radio suisse RTS le 15/09/2012 : Circoncision, le mystère du prépuce.
3. Aldeeb Abu-Sahlieh, Sami A.: Circoncision masculine – circoncision féminine: débat religieux, médical, social et juridique, p. 26.
4. Ibid., p. 55-64.
5. Ibid., p. 96.
6. Ibid., p. 72.
7. Hoffman, Lawrence A: Covenant of blood, circumcision and gender in rabbinic judaism, University of Chicago Press, Chicago et Londres, 1996, p. 213. Dans : Ibid., p. 65-66.
8. Gesundheit, G Grisaru-Soen, D Greenberg, O Levtzion-Korach, D Malkin, M Petric, G Koren, MD Tendler et B Ben-Zeev, Neonatal genital herpes simplex virus type 1 infection after Jewish ritual circumcision: modern medicine and religious tradition, Pediatrics, vol. 114, no 2, 2004, p. e259–63.
9. New York Times 14 septembre 2009
10. NorthJersey.com le 12 octobre 2012
11. Reuters.com le 28 novembre 2012
12. Segal, J. : Interdiction de la circoncision : nouvelle « Shoah », rien que ça ?, Rue 89, août 2012.
13. Segal, J. : « Mais c’est dans la Thora ! », Profil, mai 2014.
14. Segal, J. : Être juif et s’opposer à la circoncision, par Jérôme Segal, Libération, septembre 2014.
15. Segal, J. : La circoncision dans une perspective humaniste et juive, Raison Présente, n°192, 4ème trim. 2014 (sortie en férier 2015), pp. 99-108.
16. La Circoncision – Une ablation qui pose question, documentaire de Insa Onken, 2022 (53 minutes)